La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Etat des lieux de la danse en France

Interroger la place du corps dans la société

Interroger la place du corps dans la société - Critique sortie
© D. R.

Publié le 30 novembre 2011

Directeur depuis 2005 du Ballet National de Marseille, Centre Chorégraphique National, Frédéric Flamand livre son expérience et son opinion sur la structure, et définit sa vision de la danse aujourd’hui.

Quelles sont les spécificités du Ballet de Marseille ?
Frédéric Flamand :
Le Ballet de Marseille, fondé par Roland Petit, puis repris par Marie-Claude Pietragalla, a une histoire très particulière, à la fois brillante et chaotique. Quand je suis arrivé en 2005, il n’y avait plus de répertoire du tout ! Il a fallu tout reconstruire. J’ai proposé un double axe : mémoire et innovation. J’ai fait appel à des chorégraphes de référence comme William Forsythe ou Lucinda Childs, et j’ai relié la danse à d’autres techniques, d’autres arts. J’ai aussi instauré un dialogue entre la danse contemporaine et la danse classique, deux domaines qui s’ignorent plus ou moins depuis les années 70. Le dialogue entre divers champs disciplinaires n’est pas nouveau dans l’histoire de l’art et de la danse,  en témoignent par exemple les vieilles utopies du début du XXe siècle – les ballets russes, les ballets suédois, le Bauhaus et Oskar Schlemmer. Il a fallu avoir une politique d’ouverture et de collaboration avec différents organismes de la ville, créer des réseaux : avec Angelin Preljocaj à Aix-en-Provence, avec le Festival Dansem, le théâtre de La Criée, l’Opéra, Klap, maison pour la danse de Michel Kelemenis… 

« La danse est pour moi un des médias les plus forts et les plus justes pour  parler du monde, de notre modernité. »

Où êtes-vous programmé en général ? Et comment développez-vous les publics ?
F. F. :
Le gros problème, qui est celui de nombreux CCN, et qui m’a vraiment étonné en arrivant en France, c’est que les CCN en général n’ont pas de salle de spectacles. La première chose que j’ai faite dans ce bâtiment extraordinaire que nous a laissé le fondateur Roland Petit, a été de créer un gradin rétractable de 300 places dans le plus grand des studios, de manière à pouvoir présenter des spectacles. Sinon, le ballet se produit à l’Opéra ou à La Criée en fonction des disponibilités de ces salles. Disposer d’une salle dédiée permettrait de créer un public fidèle et de programmer dans la régularité. Il est essentiel de rayonner sur le territoire, et c’est aussi important d’aller à Aubagne qu’à New York ! Les jeunes sont l’avenir de notre public et l’avenir de notre sensibilité. 500 élèves suivent nos spectacles, par exemple à l’Opéra où cela avait créé un petit scandale car le public de l’opéra n’avait pas l’habitude de voir les gamins des quartiers Nord débarquer au premier balcon. La danse doit sortir du cadre étroit de sa discipline. C’est l’expression de Le Corbusier, que je revendique aussi ! Ainsi le spectacle vivant lui-même en crise peut s’affirmer par rapport au monde de l’image prédominant.

Quelle est votre conception de la création chorégraphique aujourd’hui ?
F. F. :
La danse est pour moi un des médias les plus forts et les plus justes pour  parler du monde, de notre modernité. Car justement aujourd’hui le corps, soumis à un bombardement d’images et confronté aux univers immatériels, est remis en question.  Nous vivons une mutation des perceptions et des plaisirs, et confronter divers types de corps est très intéressant. Le pire des dangers pour la création artistique, c’est de se réfugier dans une attitude nostalgique, de ne pas voir les changements de la société. Sans être technophobe ni technophile, il s’agit de travailler sur la tension entre les deux pour mieux interroger la place du corps dans notre société. Toute pensée de l’homme aujourd’hui rejoint une pensée du corps, du corps en mouvement, donc de la danse. Le Festival de danse de Cannes, dont je suis directeur artistique, s’empare de ces thématiques et met à jour de nouvelles mythologies : du corps, de l’image, de la technique. Certains chorégraphes travaillent sur le corps uniquement, sur sa fragilité, d’autres travaillent sur l’explosion de la technologie et animent un corps en lutte. Cette notion de résistance me semble très importante et finalement à travers le statut du corps dans la société aujourd’hui, c’est ce corps rebelle que j’interroge dans tous mes spectacles. Nous vivons dans un monde de calcul, de techniques raffinées de gestion. Il est important de relancer l’utopie ! C’est aussi le rôle de l’art.

Propos recueillis par Agnès Santi

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