Enquête sur le réseau des 12 CDCN : un même engagement malgré les disparités
L’essor des CDCN
Publié le 23 février 2018Avec le décret du 28 mars 2017 relatif aux labels et au conventionnement dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques, les CDC ou Centres de Développement Chorégraphique, sont devenus des CDCN. N comme national. Nous nous sommes interrogés sur ce label attribué au titre « d’une activité de diffusion et de mise en valeur de la diversité et de la création chorégraphique » selon le ministère, et, surtout, nous avons mené l’enquête pour savoir ce que le label « National » leur avait apporté.
Les CDC sont issus de structures très anciennes créées par des pionniers militants pour faire connaître la danse contemporaine à tous les publics. La plupart étaient des défricheurs, décidés à travailler avec des structures peu enclines à accueillir la danse. Les tout premiers sont Michel Caserta (Biennale du Val-de-marne) et Amélie Grand (Les Hivernales) en 1979. Suivent Danse à Lille créé en 1983 (qui deviendra Le Gymnase), et Art Danse Bourgogne (1988). En 1995, Annie Bozzini reprend le CCN de Toulouse, invente le nom de « Centre de développement chorégraphique », et l’impose comme un nouveau label (non reconnu officiellement) avec des missions associées. Entre 1995 et 2003 les six CDC (avec Nouvelle Danse à Uzès créé en 1996) multiplient les partenariats, et se constituent en réseau. En 2010, sous l’impulsion de la Délégation à la Danse, qui se bat pour l’intégration de ce nouveau label, le ministère de la Culture reprend la main sur la dénomination. Sont alors intégrés Le Cuvier à Artigues et le Pacifique à Grenoble, puis l’Echangeur en Picardie (2011). Aujourd’hui, douze structures bénéficient de ce label national. Il s’agit de structures anciennes, déjà existantes et qui ont fait leurs preuves, comme L’Atelier de Paris (labellisé en 2012), de Pôle-Sud à Strasbourg et Touka Danse en Guyane (labellisés en 2015), outre ceux déjà cités. La particularité de ce réseau, c’est leur diversité et leur engagement. Ils partagent un cahier des charges et des missions communes notamment en matière de programmation, de coproduction, et d’éducation artistique et culturelle. Tous pilotent au moins un festival de danse, mais leurs moyens et les territoires sur lesquels ils sont implantés sont très disparates.
Une attention accrue des élus
« C’est une histoire de gens passionnés qui venaient du terrain. C’est formidable que le réseau soit reconnu aujourd’hui et que les tutelles comprennent que nous sommes un maillon indispensable entre l’accueil des artistes et des populations, c’est par là que ça commence », souligne Céline Bréant, directrice du Gymnase. En termes financiers, les nouvelles mesures de 2016, soit la revalorisation de l’enveloppe « accueil studio » consistant à soutenir et accompagner plusieurs chorégraphes émergents, et le dispositif « artiste associé » avec un budget alloué sur trois ans, leur ont apporté un ballon d’oxygène. « Ce que certains ont pris pour une coquetterie des CDC, remarque Christophe Marquis, directeur de l’Echangeur, venait surtout corriger une anomalie. Nous avions les mêmes missions nationales que les CCN, mais nous n’apparaissions pas comme tels. Quand je discute avec les sous-préfets, ou n’importe quelle collectivité territoriale, je n’ai plus besoin de lui expliquer que nous avons un statut national. » À l’autre bout de la France, à Uzès Danse, même son de cloche. Il faut dire que ces deux CDC se situent dans une zone plutôt rurale. « C’est impressionnant, nous confie Liliane Schaus, directrice d’Uzès Danse, à quel point ce petit N a eu un retentissement auprès des élus. Cela a changé leur regard. Ils ont enfin compris que nous n’étions pas une association de bénévoles. De même, les réseaux étrangers et européens informels, avec lesquels nous travaillons depuis longtemps, m’ont envoyé leurs félicitations. » Idem aux Hivernales d’Avignon, où le dialogue à l’international semble facilité depuis le nouveau label, selon sa directrice Isabelle Martin-Bridot. Récemment implantés à Bordeaux à La Manufacture, après avoir été abandonnés par Artigues, Stephan Lauret et Lise Saladain ne disent pas autre chose : « Dans toutes les aventures que nous avons traversées, raconte Stephan, entre le décrochage du Cuvier et la relocalisation à Bordeaux, tout s’est fait grâce à la labellisation qui permet une attention particulière de la part des élus. »
Mettre en lumière les fragilités… en attendant d’y remédier
Autre avantage, cela pérennise des structures encore fragiles. Le label national oblige en effet à un appel d’offre et à une nouvelle nomination si un directeur décide de partir. Ce n’était pas le cas avant. C’est d’autant plus vrai pour les CDCN qui attendent un lieu depuis fort longtemps. C’est le cas de Jérôme Franc à Dijon, bien qu’il fête cette année 30 ans de festival ! « Le label a permis de mettre en exergue l’absence de lieu dédié, puisque les textes officiels le supposent. C’est un élément déclencheur positif. La Délégation à la danse du ministère de la Culture a interpellé à ce sujet le maire… et depuis, toujours rien. » Même problème à Uzès où Liliane Schaus a trouvé une solution originale : un studio mobile en kit qui peut se monter n’importe où, à condition d’avoir un toit. Consacré « Projet pilote », le studio est prêt à rayonner sur toutes les communes du territoire. En Guyane aussi, l’absence de lieu dédié se fait sentir et Norma Claire a déposé deux projets de reprise ou de construction d’un bâtiment.… En attendant, sur un territoire aussi grand, où les gens sont plutôt réticents à se rendre dans les salles de spectacle, c’est le CDCN et ses actions qui se déplacent de villes en villes, et même dans des communes améridiennes à… une journée de pirogue ! Pour elle, le label lui a surtout servi à être moins isolée et à travailler plus facilement avec les CCN et les autres CDCN.
Dynamisme et rayonnement
A l’autre extrémité de cette échelle, on trouve des CDCN très bien pourvus. C’est le cas de la Briqueterie, magnifique bâtiment achevé en 2013, de la toute nouvelle Manufacture à Bordeaux, Pôle Sud à Strasbourg, Le Gymnase à Roubaix, La Place de la Danse à Toulouse, Le Pacifique à Grenoble et l’Atelier de Paris. Certains d’entre eux ont profité de ce nouveau label pour mieux se faire connaître d’un public de proximité. « Notre défi majeur reste de faire connaître Le Pacifique, bien connu des professionnels, au public, explique Marie Roche. Pôle Sud, créé en 1989, est le dernier CDC labellisé. Le « N » a pourtant « donné un caractère plus officiel à notre expertise sur la danse. » dit Joëlle Smadja. Et surtout, il lui permet paradoxalement de se recentrer sur le quartier de la Meinau, où il a toujours été implanté, en ouvrant son lieu sur l’extérieur, grâce à des actions plutôt conviviales et à son festival Extrapôle qui se déroule dans des lieux extérieurs. C’est aussi le cas de Corinne Gaillard à Toulouse. Ce lieu symbolique de création du label CDC n’est pas très visible de la rue, d’où le changement de nom et la recherche d’un nouveau bâtiment. Même l’Atelier de Paris, lieu très repéré, avec son festival June Events, a pu nouer de nouveaux partenariats dans son quartier du 12e arrondissement. Ce réseau très dynamique, solidaire, fonctionne bien et se réunit souvent. Les CDCN démultiplient leur force de frappe de manière impressionnante sur leur territoire, notamment en matière d’éducation artistique et culturelle, et ils ont contribué, de manière décisive, à l’essor général de la danse contemporaine en France. Ils coproduisent ensemble, réfléchissent ensemble et finissent par toucher tous les publics et même les « non publics », c’est-à-dire, ceux qu’on ne voit pas (encore ?) dans les salles de spectacle. Tous ont leurs particularités et leurs projets phares. Bref, c’est un réseau modèle qui mériterait sans doute d’être encore développé… Sauf que trop de créations chorégraphiques sortent actuellement des seuls CDCN et CCN, disent-ils. Un vrai danger, à terme, pour la danse, si d’autres structures ne prennent pas le relais en matière de diffusion et de coproduction.
Agnès Izrine