La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Gabriel Garran

Gabriel Garran - Critique sortie Théâtre
Crédit : DR Légende : Gabriel Garran

Publié le 10 mai 2010

Louis Jouvet – Romain Gary : deux hommes assoiffés d’absolu

Fondateur du Théâtre de la Commune en 1965, Gabriel Garran revient aujourd’hui à Aubervilliers avec un spectacle plaçant face à face la création d’une pièce de Romain Gary et la correspondance que l’auteur entretint avec Louis Jouvet de 1946 à 1951.

Quelle est l’origine de la correspondance qui lia Louis Jouvet et Romain Gary ?
Gabriel Garran : C’est l’envoi à Louis Jouvet d’un roman de Romain Gary, intitulé Tulipe. Dans la première lettre qu’il fait parvenir à Gary, Jouvet exprime un grand enthousiasme au sujet de ce texte. Il lui annonce même qu’il envisage de le porter à la scène.
                                                                                                                           
Qu’est-ce qui relie ces deux hommes, très différents l’un de l’autre ?   
G. G. : A priori, on ne voit en effet pas très bien ce qu’ils peuvent avoir en commun. Ils n’ont pas le même âge, l’un travaille à sa vocation littéraire, l’autre est l’incarnation même du théâtre, l’un vit à Sofia, l’autre à Paris… Finalement, cette correspondance tisse un lien entre deux hommes qui ne se correspondent pas ! Sinon qu’ils sont tous les deux assoiffés d’absolu et partagent ce que j’appelle « l’odyssée du refus ». Je veux dire par là que Gary, refusant la défaite, rejoint la France libre dès 1940. Dans un même mouvement, Jouvet quitte la France de 1941 à 1945 pour une longue tournée en Amérique latine.
 
Finalement, malgré son enthousiasme initial, Jouvet ne mettra jamais en scène la pièce de Gary…
G. G. : Non. Après une période de réflexion, Jouvet commence à pointer ce qu’il considère comme des failles. Gary se remet au travail, le remercie même de ses critiques et lui fait parvenir une nouvelle version de son texte un an plus tard. A partir de ce moment-là, un véritable tissu relationnel se crée entre eux. Mais ils ont des pensées totalement différentes. Jouvet regrette le décousu de l’adaptation de Tulipe. Gary répond qu’il croit au décousu. En cela, il est prémonitoire d’un théâtre à venir. D’une certaine façon, Romain Gary se situe aux portes du théâtre de l’absurde.
 
« Cette correspondance tisse un lien entre deux hommes qui ne se correspondent pas ! »
                                                                                                                     
Pourquoi avez-vous choisi de placer face à face cette correspondance et la pièce de Gary ?
G. G. : Car cette correspondance fait très souvent allusion au personnage appelé Tulipe. J’ai donc pensé que pour avoir pleinement accès à ces lettres, il fallait également avoir une certaine connaissance de la pièce. J’ai donc choisi de faire s’entrecroiser et se répondre ces deux sources. Dans une sorte de mise en abyme, de vision pirandellienne, je donne ainsi pour la première fois la parole aux personnages de Tulipe ou la Protestation, plus de 60 ans après leur naissance sur le papier. Comme des fantômes qui surgissent, ces personnages sortent de la nuit après toutes ces années de silence.
 
De quoi traite Tulipe ou la Protestation ?
G. G. : Ce nom de fleur – Tulipe – pousse sur les décombres d’une des époques les plus répulsives de l’histoire des hommes. Le personnage central de cette pièce (ndlr, interprété par Jean-Paul Farré, Louis Jouvet et Romain Gary étant respectivement incarnés par Jean-Pierre Léonardini et Sava Lolov) est un rescapé de Bergen-Belsen qui s’est réfugié à Harlem en pleine crise de l’identité noire aux Etats-Unis. En 1945, Gary parle déjà des camps. Il y a, chez lui, une quête de l’idéalisme qui fait face à une impossibilité de l’idéalisme. Tulipe est un véritable clone-clown, une sorte de double sganarellien qui vient narguer Gary, le pousser dans ses retranchements.   
 
Quels sont les piliers sur lesquels repose le théâtre auquel vous travaillez depuis près de 50 ans ?
G. G. : L’homme de théâtre que je suis s’est constitué à travers le militantisme et le changement radical qu’a représenté la décentralisation théâtrale. Tout cela s’est appuyé, bien sûr, sur la naissance d’une éthique à laquelle je me suis tenu tout au long de mon existence : celle de la mission publique du théâtre.
 
A l’origine, quels étaient les éléments essentiels de cette mission ?
G. G. : Elle reposait sur des principes assez simples. Certains paraissent aujourd’hui évidents mais ne l’étaient pas à l’époque. Rendre le théâtre accessible à tous ; ne pas arrêter de faire du théâtre là où s’arrête le métro ; savoir pourquoi on fait du théâtre afin de savoir pour qui on le fait ; célébrer sa majesté le mot, revenir sans cesse au lieu acharné de son expression… Et puis, en ce qui me concerne, j’ai souhaité orienter cette mission vers un travail de radicalité contemporaine. Considérant que les joyaux du passé avaient suffisamment de défenseurs, j’ai voulu me battre pour éclairer le théâtre et les écritures de mon temps.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Gary-Jouvet 45-51, d’après la correspondance de Louis Jouvet et Romain Gary et Tulipe ou la Protestation de Romain Gary ; conception et mise en scène de Gabriel Garran, en collaboration avec Myriam Lothammer. Du 5 au 29 mai 2010. Les mardis et jeudis à 19h30, les mercredis, vendredis et samedis à 20h30, les dimanches à 16h. Relâches exceptionnelles le samedi 15 mai, le dimanche 16 et le dimanche 23. Exceptionnellement, la représentation du 13 mai aura lieu à 16h. Théâtre de la Commune, Centre dramatique national d’Aubervilliers, 2, rue Edouard-Poisson, 93300 Aubervilliers. Réservations au 01 48 33 16 16.

A propos de l'événement


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