La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Frank Castorf

Frank Castorf - Critique sortie Théâtre
Crédit : Thomas Aurin Légende : Frank Castorf

Publié le 10 avril 2010

De Kean à Hamlet ou de Hamlet à Kean…

Après Nord de Louis-Ferdinand Céline, Les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner et Dans la jungle des villes de Bertolt Brecht, Frank Castorf revient en France avec Kean ou Désordre et Génie. Un spectacle « sur l’extraordinaire » au sein duquel le metteur en scène allemand associe la pièce d’Alexandre Dumas à Hamlet-machine de Heiner Müller.

Qu’est-ce qui vous a amené à mettre en scène Kean ou Désordre et Génie ?
Frank Castorf : J’ai d’abord découvert cette pièce à travers les lunettes de Jean-Paul Sartre, qui en a écrit une adaptation dans les années 1950. J’ai ensuite eu envie de m’intéresser à la version originale. Et c’est avec celle-ci que je me suis finalement senti le plus à l’aise. Car le texte de Dumas donne corps à l’outrance, aux excès du personnage d’Edmund Kean, alors que celui de Sartre renvoie davantage à une vision sociale et politique. Pour moi, mettre en scène cette pièce revient à chercher à savoir si Kean est Hamlet, ou bien si, au contraire, c’est Hamlet qui est Kean.
 
« Comme Kean, je pense que l’art n’est intéressant que lorsqu’il rejoint le domaine de l’exception. »
 
Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement chez Kean ?
Fr. C. : Son caractère unique et hors du commun. Il s’agit d’un comédien mythique, d’une sorte d’artiste pop, comme Jim Morrison ou Arthur Rimbaud… Kean est sans doute la première superstar de l’Histoire. Une superstar qui vient des bas-fonds, qui a connu la faim, qui a dû établir ses propres règles du jeu pour arriver là où il est arrivé. En s’extirpant de son milieu d’origine, il a acquis une force animale. Grâce à cette force, il brise tous les obstacles, dépasse toutes les limites et parvient à montrer ce qu’est véritablement un artiste. Kean ou Désordre et Génie est une pièce sur l’extraordinaire. A une époque comme la nôtre, où tout est théâtralisé, où chaque personnalité politique se présente comme une forme de produit artistique, on en arrive à se demander si – tout étant devenu théâtral – le théâtre n’est pas devenu superflu. Comme Kean, je pense que l’art n’est intéressant que lorsqu’il rejoint le domaine de l’exception.
 
Pour quelle raison avez-vous choisi de confronter la pièce d’Alexandre Dumas à Hamlet-machine de Heiner Müller ?
Fr. C. : Parce que Heiner Müller, dans Hamlet-machine, nous révèle le revers de la médaille, l’autre côté de l’artiste. Il nous montre un comédien qui – comme un révolutionnaire qui aurait perdu son engagement politique – a perdu son public. Un comédien qui continue de jouer, de vivre de façon excessive, mais qui ne voit plus dans la salle que « des cadavres de pestiférés empaillés (…) qui ne remuent pas des mains ». Heiner Müller a écrit cette pièce en pensant à la révolution hongroise de 1956. Comme nous le savons, cette révolution a été écrasée. A travers Hamlet-machine, Müller se demande ce qu’il reste lorsque tout a été écrasé. Nous savons aujourd’hui, dans l’Europe d’après 1989, que ce qu’il reste, c’est l’envie de boire du Coca-Cola et le désir utopique de vivre dans un pays fondé sur les valeurs d’égalité et de fraternité.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Kean ou Désordre et Génie, d’après la pièce d’Alexandre Dumas et Hamlet-machine de Heiner Müller (spectacle en allemand surtitré) ; adaptation de Frank Castorf et Lothar Trolle ; mise en scène de Frank Castorf. Du 9 au 15 avril 2010 à 19h, relâche le lundi 12 avril, le dimanche 11 avril à 15h. Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, 75006 Paris. Réservations au 01 44 85 40 40. Durée du spectacle : 4h20 avec entracte.

A propos de l'événement


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