La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Frédéric Bélier-Garcia

Frédéric Bélier-Garcia - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Solange Abaziou

Publié le 10 janvier 2012 - N° 194

Contes de la modernité immature

Princesses moches, monstres myopes, princes un brin pleutres : Christian Oster revisite les contes en les dynamitant. Frédéric Bélier-Garcia s’amuse à les mettre en scène, avec humour et fantaisie.

Comment avez-vous rencontré les contes de Christian Oster ?
Frédéric Bélier-Garcia : J’ai d’abord rencontré Oster par ses romans pour adultes, qui traitent avec beaucoup de drôlerie et délicatesse du désarroi amoureux. J’ai appris qu’il avait aussi écrit des contes de fée. J’ai découvert avec joie ces histoires étranges et complètement déréglées, qui reprennent les récurrents du conte traditionnel, mais où tout déroge aux règles du genre. Les ogres y sont plus attirants que les princes, les moutons plus lucides que les princesses. En même temps, derrière l’aspect un peu foutraque et baroque, et au-delà de la drôlerie, apparaît une vérité sur les lois du désir et le besoin de plaire. Toute cette matière m’a donné envie de la mettre en scène, d’autant plus que le foisonnement du récit constituait un vrai défi qui m’intimait d’inventer une forme théâtrale particulière.
 
Laquelle ?
F. B.-G. : Avec Sophie Perez et Xavier Boussiron, qui signent la scénographie, nous sommes partis de la logistique traditionnelle du conte, imaginant une sorte de petit théâtre baroque, un castelet avec des nuages dans les cintres, une machinerie mozartienne ou à la Lully. Mais ce théâtre devient cruel et drolatique, et acquiert une couleur actuelle, par le trop-plein et le frottement des formes. La princesse est allongée dans une moule géante ; les loups ont des têtes de loups mais des costumes de vieux rockers ; les géants avancent sur des talons compensés de drag queen… Entre Peau d’âne et Kaurismäki, nous avons voulu un univers féérique où l’imaginaire traditionnel est comme envenimé par notre fantasmagorie contemporaine…
 
 « Un univers féérique où l’imaginaire traditionnel est comme envenimé par notre fantasmagorie contemporaine. »
 
S’agit-il d’un spectacle pour adultes ou pour enfants ?
F. B.-G. : Les adultes peuvent amener leurs enfants ! On a fait une lecture publique de la pièce : les enfants riaient souvent à d’autres endroits que les adultes, mais tout le monde suivait son chemin ! Chacun peut aménager sa lecture. Plus que dans un roman ou dans l’écriture théorique, dans le conte, tout est donné en vrac au spectateur : c’est à lui de donner sens aux énigmes non résolues qui lui sont livrées en pâture.
 
Quelle est la morale de ces contes ?
F. B.-G. : Oster applique nos obsessions actuelles, quotidiennes, aux personnages archaïques des contes de fée. Il en reprend tout le personnel, mais le contamine de nos incertitudes, nos hésitations. Les princesses sont troublées par les ogres. Les figures qu’on trouve chez Grimm ou Perrault sont ici plus chancelantes. La morale, si morale il y a, traite de notre désir de plaire, ce besoin qui nous affame, et de toutes les malédictions qu’engendre cet appétit, qui transforme les princesses en steak-frites et les princes en monstres. Bettelheim dit des contes de fées qu’ils sont « un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu’exige notre passage de l’immaturité à la maturité. » Les contes d’Oster traitent de notre immaturité contemporaine quant à l’amour, au désir, à la beauté, à la reconnaissance. Par rapport aux personnages habituels, ceux-là sont perclus de doutes sur ce qu’il faut aimer, séduire, rechercher, ou fuir. En cela, ces contes répondent aussi au théorème de Bettelheim, tout en le réaménageant : comment accéder à la maturité dans un monde où la maturité est vacillante ?
 
Propos recueillis par Catherine Robert


La Princesse transformée en steak-frites, de Christian Oster ; mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia. Du 5 janvier au 4 février 2012. Du mardi au samedi à 20h30 ; dimanche à 15h30. Représentations supplémentaires les 14, 21 et 28 janvier à 18h30. Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris. Tél : 01 44 95 98 21. En tournée : du 8 au 10 février au CDDB – Théâtre de Lorient ; du 22 au 25 février au Théâtre de la Criée, à Marseille ; du 28 février au 3 mars et du 6 au 17 mars au Quai – Forum des arts vivants, à Angers.

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