For Claude Shannon : la phase cachée

For Claude Shannon, nouvelle pièce de Liz Santoro et Pierre Godard, a bénéficié d’un temps de création conséquent à l’Atelier de Paris, qui est autant le temps de l’expérimentation que celui de la création. Alors que les répétitions battent leur plein, nous avons découvert la phase cachée du spectacle, qui tient d’un véritable parti-pris à la fois sur l’acte et sur la temporalité de la représentation : lorsque les spectateurs entreront à l’Atelier de Paris les 22 et 23 janvier prochain pour assister au spectacle, se douteront-ils que la mise en situation, pour les danseurs au plateau, aura déjà débuté deux heures auparavant ? Il s’agit d’une phase de « learning », indispensable au processus de la pièce, car chaque représentation, conçue comme un acte unique, est basée sur une contrainte tirée au hasard et différente chaque soir. A partir des principes de base d’une matière gestuelle travaillée en amont, et d’une matière textuelle qui constitue la source de la séquence dansée, les danseurs doivent remettre l’ouvrage sur le métier, et réapprendre à composer chaque soir avec une nouvelle donne. Le spectacle constitue en quelque sorte la fin de cet apprentissage, lorsque les corps se seront appropriés cette nouvelle danse, et pourront en délier les contours et le rythme pour entrer dans le vif de la représentation et de sa relation au spectateur.

Un apprentissage précis qui ouvre de multiples questions

Qu’avons-nous pu découvrir lors des répétitions, en accédant à cette phase cachée du travail ? Les quatre danseurs, assis à terre, cahier et crayon à la main, attendent la nouvelle « clé » du jour, celle qui constituera le code pour la construction de cette nouvelle séquence. Pierre Godard leur livre alors la règle du jour, constituée de lettres, sorte de combinaison aux abords obscurs faisant correspondre des lettres à des éléments composant une phrase. Ils notent scrupuleusement : h pour déterminant, r pour adjectif, u pour nom… avant de s’élancer, chacun de leur côté, dans l’application scrupuleuse de cette contrainte mystérieuse vers un lexique de vingt-quatre mouvements de bras et de jambes. Visages tendus, concentration extrême. Si le vocabulaire est simple – dégagés de jambes, bras tendus devant, côté, et utilisation simple des plans de l’espace – la tâche paraît ardue. Peu à peu, se dessine chez les danseurs une chorégraphie combinatoire entre les éléments gestuels de base, la contrainte nouvelle, et le principe-phare du travail, celui d’appliquer à la composition du mouvement les principes syntaxiques d’une phrase textuelle. Celle-ci, issue d’un ouvrage de Claude Shannon, refait d’ailleurs par endroits surface dans la bouche des danseurs, comme un repère, un appui. Puis surgit un rythme. Comment parviendront-ils ensuite à faire fi de tout cet effort, tout à leur acuité à la fois mentale et gestuelle, pour ouvrir une nouvelle phase – celle du spectacle ? Dans quel état de corps s’offriront-ils au public, et que découvrirons-nous d’eux, derrière la rigueur compositionnelle ? Réponse à l’Atelier de Paris ce week-end.

Nathalie Yokel