L’intelligence en liberté
Xavier Marchand met en scène un montage d’extraits des œuvres de Germaine Tillion et fait revivre cette extraordinaire franc-tireuse de la pensée, femme libre et écrivain originale.
L’œuvre de Germaine Tillion n’est pas une œuvre théâtrale. Comment affronter cet obstacle ?
Xavier Marchand : Germaine Tillion est un véritable écrivain : c’est cette qualité qui m’a permis de la faire entendre sur un plateau. Hormis Le Verfügbar aux enfers, son œuvre n’est certes pas théâtrale. Je travaille souvent sur des textes non théâtraux à la condition qu’ils intègrent dans leur écriture une forme d’oralité. Or l’oralité a justement été la base du travail de Germaine Tillion. Le pari tient au fait que sa langue est une langue qu’on peut dire. Rétive au ton universitaire, cette femme a d’abord et avant tout l’art de raconter l’histoire de l’humanité par petites histoires avec une plume extrêmement claire et très alerte. C’est cette qualité qui m’a fait penser qu’il était possible de faire entendre ses écrits sur un plateau.
Comment avez-vous rencontré Germaine Tillion ?
X. M. : Ma première rencontre avec elle a eu lieu un soir à la radio : elle avait une façon de parler qui m’a frappé l’oreille. Je me suis mis à lire ses livres et c’est de là qu’est né ce projet théâtral. Quand je l’ai rencontrée, elle avait cent ans et elle ne savait plus très bien où elle était, mais j’ai retrouvé dans sa parole la même vivacité qu’on trouve dans ses livres et ce souci de faire tomber les barrières pour que l’échange se fasse. Je suis tombé assez fan de cette sacrée bonne femme ! Pour moi, c’est presque un directeur de pensée et je me positionne comme un passeur de son œuvre.
« Sa langue est une langue qu’on peut dire. »
Comment organisez-vous formellement le spectacle ?
X. M. : Selon les trois périodes qui charpentent sa vie : les expéditions ethnographiques dans les Aurès, la résistance et Ravensbrück et la guerre d’Algérie. Ce sont ces trois périodes qui l’ont constituée et tous ses écrits sont bornés par ces dates-là. Cinq comédiens prennent en charge le texte et une d’eux va plus particulièrement endosser sa parole qui offre la difficulté d’être un récit à la première personne.
La considérez-vous comme une héroïne ?
X. M. : J’en fais ce que les spectateurs en entendront. Je n’ai opéré aucun travail de réécriture et le spectacle n’est composé que d’un montage de ses textes. Elle-même interroge la figure du héros dans son œuvre et montre combien il est facile de s’ériger en héros quand le danger permet ce genre de sublimation. Elle a tant rencontré de possibles héros et d’authentiques salopards qu’elle a suffisamment de recul pour éviter de tomber dans l’héroïsation. L’héroïsme, ce sont les autres qui en décident, après, on s’y prête ou non. Germaine Tillion s’en garda toute sa vie…
Propos recueillis par Catherine Robert
Il était une fois Germaine Tillion, d’après l’œuvre de Germaine Tillion ; mise en scène de Xavier Marchand. Les 4, 8 et 9 décembre 2009 à 19h30, le 10 à 19h, le 5 à 18h. Grande salle de la Comédie de l’Est. Du 12 au 21 mars 2010 à La Criée – Théâtre National de Marseille.