La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Thierry Roisin

Thierry Roisin - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 janvier 2008

Pour un théâtre en mouvement

Admirateur de Montaigne, dont il porte à la scène les Essais, et adepte comme lui d’une pensée créative en mouvement, Thierry Roisin entame avec autant de jubilation que de sérénité son deuxième mandat à la tête de la Comédie de Béthune.

Quel bilan de votre premier mandat à la tête de la Comédie de Béthune ?

Thierry Roisin :
Je suis arrivé en juillet 2004. Trois ans, c’est court quand on arrive sur un territoire nouveau pour y apprendre un nouveau métier ! Il faut prendre la mesure du lieu, de l’équipe, de l’histoire et de la culture locales. Un premier mandat est une amorce, évidemment excitante, qui consiste à mesurer la compatibilité entre ses rêves et la réalité. Quelque chose a commencé à se construire et la vie a vraiment changé au théâtre. C’est un lieu où les artistes aiment travailler. Notre projet est maintenant identifié par les professionnels, les élus et le public qui s’est rajeuni et avec lequel nous entretenons beaucoup de relations de proximité. Le nombre des productions de la Comédie s’est accru et nous réussissons à tenir ensemble visibilité nationale et vivacité locale. A chaque fois, il s’agit d’aventures de théâtre et cette couleur-là commence à être visible.
 
Les choses ont-elles changé depuis votre arrivée ?

T. R. :
Quand je suis arrivé, la Comédie de Béthune consistait en une agence de diffusion indépendante de son projet local. Or il est indispensable que ces deux dimensions soient liées. C’est ainsi que nous proposons désormais à la fois des spectacles au Palace et des petites formes sur le territoire, des créations au sein desquelles on trouve un reflet, une restitution, un miroir d’un quartier. Dans le rapport au public, ça change pas mal de choses. Le public qui voit un spectacle dans sa commune vient au Palace. Cela crée de la circulation, de l’émulation, de la rencontre, du brassage. La qualité des spectacles est inséparable de la qualité de l’accueil, de ce qui se passe avant, après et autour des spectacles. Un bar qui fonctionne, un hall accueillant, un théâtre devenu espace de rencontre : nous jouons aussi cette carte-là et j’ai l’impression que les choses avancent bien car nous faisons quelque chose qui a du sens.
 
Quelle est l’orientation de la programmation de cette saison ?

T. R. :
Cette programmation va et vient entre un point de vue politique et social et un point de vue plus intime, avec des pluralités de formes, de conventions, en étant toujours à l’écoute de ceux qui font des propositions singulières, en faisant entendre de grands textes et en étant à l’écoute des écritures contemporaines. Notre projet étant ainsi esquissé, l’enjeu des trois années à venir est qu’il prenne son essor. De mon côté, j’ai désormais plus de temps pour la création et j’entre dans une dimension de plaisir plus grande.
 
« Tenir ensemble visibilité nationale et vivacité locale. »
 
A ce propos, vous créez un spectacle autour des Essais de Montaigne.

T. R. :
Il y a quinze ans, j’avais réalisé un premier travail autour des Essais et j’ai eu le sentiment qu’il fallait y revenir. A une heure où on ne sait plus à quel saint se vouer, on retrouve chez Montaigne les fondamentaux d’un humanisme sans cesse à réinventer, un appel au sens critique au croisement de la vie et du regard sur la vie, entre l’intime et le général. En cela, Montaigne pourrait être la figure centrale de cette saison avec son regard revenant sans cesse sur lui-même, non pas en un mouvement égocentrique et égoïste mais parce que se comprendre soi-même c’est comprendre le monde et irriguer la relation avec lui.
 
Comment avez-vous adapté le texte ?

T. R. :
On s’est senti très libres avec cette matière. D’abord parce que depuis le premier exemplaire de Bordeaux, Montaigne lui-même n’a jamais cessé de réécrire les Essais, dans un mouvement permanent de gonflement et de réduction. Il n’y a donc pas un corps de texte intouchable. Avec Olivia Burton, nous avons choisi des textes de façon très subjective, « pillotant » et « fagottant » chez Montaigne comme lui-même avoue le faire chez les Anciens, en choisissant ce qui nous parle aujourd’hui. Montaigne, qui ne supportait pas le savoir dogmatique, qui préférait la vie aux livres, imprime une dimension orale aux Essais qui rend possible leur théâtralisation dans une langue poétique, bondissante, ample, vivace où le plaisir des mots très colorés croise celui du coq-à-l’âne. L’homme m’intéresse moins que ne me fascine le mouvement de sa pensée allergique au système. Montaigne ne fige aucune vérité : ce que je postule comme vrai doit pouvoir s’infléchir, affirme-t-il en substance. Or ce mouvement de remise en cause des évidences a à voir avec le théâtre qui ne produit pas des statues mais des corps en mouvement. Et c’est la sensation physique de ce mouvement qu’il me paraissait important de partager avec les spectateurs.

Propos recueillis par Catherine Robert


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