L’aspiration au beau
Nicolas Ducron met en scène Des Couteaux dans les poules de l’auteur britannique David Harrower. Un « huis clos campagnard et philosophique » qui exalte la poésie et le beau.
Comment pourriez-vous caractériser l’écriture de David Harrower ?
Nicolas Ducron : La découverte de cette pièce a été, pour moi, un véritable choc. Je n’avais jamais rien lu de pareil auparavant. L’écriture de David Harrower m’a littéralement sauté à la figure. Elle repose sur une langue déstructurée, syncopée, elliptique, une sorte de langage parlé auquel il manquerait des mots pour construire de jolies phrases. Ce sont tous ces vides, tous ces trous qui lui donnent son incroyable force. David Harrower parvient à dire énormément de choses avec peu de mots. Il construit une écriture faite de creux et de pleins, une écriture très musicale. Et finalement, je crois que c’est tout ce qui n’est pas formellement dit qui est peut-être le plus important. D’ailleurs, ce qui m’intéresse le plus dans cette pièce, ce n’est pas son histoire en tant que telle, mais ce qui se cache derrière, son sens profond.
Quel est ce sens profond ?
N. D. : Des Couteaux dans les poules défend l’idée qu’un être humain n’est pas simplement quelqu’un qui mange, qui boit et qui respire, mais aussi quelqu’un qui aspire au beau. La société dans laquelle nous vivons voudrait nous faire croire que si l’on n’a pas de diplôme, on n’est qu’une brute épaisse, qu’un consommateur aveugle et primitif. Ce que nous dit David Harrower, c’est qu’en chacun d’entre nous, il existe une aspiration supérieure, une envie de poésie, d’élévation, de beauté… En posant le langage comme valeur civilisatrice, il lie l’apprentissage de l’écriture à la liberté, à l’échange, à l’ouverture au monde…
« L’idée qu’un être humain n’est pas simplement quelqu’un qui mange, qui boit et qui respire, mais aussi quelqu’un qui aspire au beau … »
Pour interpréter cette pièce, vous déclarez avoir fait le choix de « comédiens terriens ». Qu’entendez-vous par là ?
N. D. : Par « comédiens terriens », j’entends des comédiens concrets, physiques, qui incarnent leur personnage de façon directe, sans commenter ce qu’ils jouent, sans basculer dans une vision intellectuelle de leur personnage. Pour moi, l’acteur ne doit pas réfléchir sur scène. Il doit se contenter d’être pleinement dans l’acte et la parole. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de voir des comédiens illustrer ou expliquer le texte qu’ils sont en train de jouer, mais de trouver le souffle de la théâtralité qui peut prendre corps à côté des mots. C’est précisément cette théâtralité qui est en mesure de faire ressortir toute la profondeur, toute l’amplitude de la pièce.
Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat
Des Couteaux dans les poules, de David Harrower ; mise en scène de Nicolas Ducron. Du 17 au 21 mai 2010 au Studio-théâtre.