La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Nabil El Azan

Nabil El Azan - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 mars 2009

Dans le croisement et le partage

Nabil El Azan, metteur en scène franco-libanais et directeur de la compagnie La Barraca, met en scène Le Collier d’Hélène en compagnie des acteurs du Théâtre National Palestinien. Un texte et une expérience théâtrale à la gloire de la rencontre avec l’autre.

Comment votre projet de monter cette pièce avec des acteurs palestiniens est-il né ?
Nabil El Azan : Ce projet est né d’une double rencontre. D’abord avec Carole Fréchette et ce texte que je mets en scène pour la deuxième fois ; ensuite avec le Théâtre National Palestinien. Le TNP était invité à présenter son travail en janvier 2007 au Théâtre des Bouffes du Nord. A l’issue de l’une des représentations, j’ai rencontré Jamal Ghosheh, son directeur. Il m’a proposé de venir travailler à Jérusalem. Ma première réaction a été de refuser. J’ai vécu la moitié de ma vie à Beyrouth en y grandissant avec l’idée qu’on ne peut pas aller en Israël et que l’interdit y est autant symbolique que de fait. Mais nous avons commencé à correspondre et Jamal Ghosheh m’a convaincu que je pouvais y aller. Dès lors, l’idée d’aller à la rencontre de cette ville et de ceux qui y résistent par le théâtre est devenue très stimulante.
 
Qu’est-ce que le Théâtre National Palestinien (TNP) ?
N. E. A. : Ce théâtre n’a de national que le nom. Il n’est financé ni par Israël ni par l’Autorité palestinienne. Il doit se battre dans un milieu très hostile. Il est le seul lieu de spectacle et de cinéma à Jérusalem-Est, le seul endroit où il se passe quelque chose dans une ville où il n’y a plus un chat après 19h… Mais je suis arrivé à Jérusalem avec le désir d’y faire quelque chose. C’est alors que Le Collier d’Hélène m’est revenu à l’esprit. La raison en était thématique d’abord. Le texte raconte le périple d’une Occidentale dans une ville arabe, même si la ville n’est pas nommée et même si le texte a une portée et une résonance universelle sur la question de la douleur et du deuil. Carole Fréchette l’a écrit en 2001 à Beyrouth. Je l’ai monté à Beyrouth en 2002. C’est la deuxième raison pour laquelle j’ai proposé cette pièce au TNP, parce que je la connaissais et que je ne voulais pas me mettre en danger et mettre ce projet en danger en montant une pièce que je ne connaissais pas avec des comédiens que je ne connaissais pas non plus.
 
« C’est par l’autre que nous sommes déplacés dans nos certitudes et confortés dans nos doutes ! »
 
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
N. E. A. : Dans le croisement et le partage. La résidence de création a eu lieu en janvier/février 2008. Dès les premiers jours à la table pour coordonner les langues, chacun essayait de s’exprimer comme il le pouvait, prouvant cette évidence qu’au-delà de la langue qu’on parle, on arrive toujours à se comprendre. La pièce comme la mise en scène proposent un parcours sensible. Le partage n’est pas celui des idées ou du mélo mais celui du sensible. Carole Fréchette nous fait toucher la douleur, nous nous en emparons et elle devient nôtre. Et la mise en scène s’adresse d’abord à l’intelligence du spectateur sans quêter ses affects. Dès les premières répétitions pour accorder nos voix et nos accents dans le respect de la langue de Carole Fréchette, j’ai vu que ça marchait. Le travail s’est ensuite continué dans un plaisir d’être ensemble qui n’a jamais faibli. D’ailleurs, c’est exactement le mouvement de la pièce où l’héroïne passe d’un dérisoire « moi je » à un « nous » collectif qui est peut-être celui qui justement manque à notre époque.
 
Pourquoi avoir choisi de mêler le français et l’arabe dans votre mise en scène ?
N. E. A. : C’était une évidence pour moi, franco-libanais porteur des deux langues et inscrit dans la médiation entre les deux rives de la Méditerranée. La rencontre avec l’autre ne peut pas être factice et sur un plateau, elle est une expérience de confrontation effective : l’autre n’y apparaît pas comme un simulacre mais comme porteur d’une autre expérience du théâtre dont il faut décrypter les signes. C’est par l’autre que nous sommes déplacés dans nos certitudes et confortés dans nos doutes ! Le théâtre œuvre à ce déplacement. Nous avons longtemps cru que le théâtre pouvait changer le monde mais ce qu’il change avant tout, c’est le regard. Cette notion de regard est fondamentale. C’est elle que j’ai voulu mettre en scène en y associant le spectateur.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Le Collier d’Hélène, de Carole Fréchette, mise en scène de Nabil El Azan. Du 3 au 14 mars.

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