Adel Hakim, directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry

Publié le 10 mars 2009

L’actualité à travers un acte artistique

En quatre spectacles, des débats, des rencontres, le Studio Casanova d’Ivry interpelle le public pour entreprendre avec lui un décryptage fin et sensible de thèmes contemporains. Le Théâtre National Palestinien participe à la manifestation.

« Le théâtre a cette fonction de parler pas seulement à la raison mais aussi à l’âme, d’interpeller de manière poétique ce qu’il y a de plus profond en nous. »

Pourquoi avoir intitulé la manifestation Contre-Feux, du titre des ouvrages de Bourdieu ?

Dans l’introduction de Contre-feux, Bourdieu explique qu’il entend dans ce recueil de textes donner une autre vision de la réalité et des informations qui nous sont communiquées par les médias dominants. La démarche est ici un peu la même au niveau théâtral, pas nécessairement à travers une autre façon de faire du théâtre mais plutôt à travers une autre façon d’explorer avec le public des formes et des contenus plus explicitement politiques, qu’il s’agisse de fiction, de théâtre documentaire ou de poésie. Le théâtre est aussi un moyen de communication et d’information ! Nous organisons beaucoup de rencontres autour de cette manifestation. Au Studio Casanova, le public et les acteurs se retrouvent très facilement. Le théâtre est ici un lieu où les spectateurs, loin d’une attitude passive, peuvent parler, avec les acteurs et entre eux.

Quels spectacles présentez-vous ?

Nous ouvrons la manifestation avec la présence de l’équipe du Théâtre National Palestinien, dans Le Collier d’Hélène, très belle pièce de Carole Fréchette, qui raconte, sans aucune charge revendicative, l’histoire d’une femme occidentale dans un pays en guerre, qui a perdu son collier et part à sa recherche. Elle croise des gens qui ont perdu des choses autrement plus importantes. La pièce confronte deux réalités où le sens de la tragédie n’a pas la même ampleur. C’est une pièce multi-nationale, avec l’auteure québecoise Carole Fréchette, le metteur en scène franco-libanais Nabil El Azan, et une distribution franco-palestinienne. Ensuite Shitz d’Hanokh Levin, mise en scène par Christine Berg, explore l’intérieur de la société israélienne et les dégâts que la guerre et l’argent produisent sur la cellule familiale. La pièce montre une espèce de pathologie qui dépasse la dimension individuelle. Hanoch Levin est pour moi l’un des plus grands auteurs contemporains. La Comédie Indigène de Lofti Achour, pièce très actuelle, parle des fondements de la colonisation et du racisme inhérent au discours qui a produit la colonisation, avec des textes de grands auteurs français que l’on n’aurait pas pu soupçonner de racisme. Ce montage met à jour qu’il est très difficile d’échapper aux discours de la supériorité et du racisme. Marx matériau/celui qui parle s’inspire du premier chapitre du premier tome du Capital. On découvre que Marx a une vision pertinente, claire et visionnaire de ce qui se passait à son époque, et qui aujourd’hui encore, se prolonge.

Quels sont les atouts du théâtre pour décrypter des thèmes contemporains ?

Ces spectacles, qui ne sont pas des créations, nous donnent différents points de vue sur l’actualité mais toujours à travers un acte artistique, une tentative théâtrale. Le théâtre a cette fonction de parler non seulement à la raison mais aussi à l’âme, d’interpeller de manière poétique ce qu’il y a de plus profond en nous. Le théâtre parle à nos sens et en même temps permet de déclencher notre raisonnement. A travers le sensible, on arrive à pouvoir réfléchir. Le théâtre replace aussi ces questions dans une perspective historique, sans se cantonner à l’immédiateté et l’émotion, qui ne peuvent rien résoudre des conflits et des crises que connaissent les hommes. Et le théâtre nous met en contact les uns avec les autres, c’est précieux.

Propos recueillis par Agnès Santi