La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -318-D’interprète à chorégraphe : comment le mécénat danse de la Caisse des Dépôts nourrit la créativité et élargit la reconnaissance

Marion Carriau raconte des histoires, entre sources réelles et pouvoir de l’imaginaire

Marion Carriau raconte des histoires, entre sources réelles et pouvoir de l’imaginaire - Critique sortie  St-Quentin-en-Yvelines Théâtre de St-Quentin en Yvelines
Crédit: Florent Cheymol / Crédit : Léa Mercier Marion Carriau / Clémentine Maubon dans l’Amiral Sénès, création en cours de Marion Carriau

Entretien Marion Carriau

Publié le 22 janvier 2024 - N° 318

Marion Carriau aime raconter des histoires, fabriquer des mythes ou les re-questionner. Dans un univers visuel fort, elle s’engage aujourd’hui dans une troisième création, L’Amiral Sénès, qui puise dans une légende familiale et se rapproche de l’Histoire.

Aujourd’hui chorégraphe émergente accompagnée par la Caisse des Dépôts, on ne peut faire fi de votre parcours d’interprète. Qu’a-t-il fait grandir en vous ?

Marion Carriau : J’ai eu par exemple la possibilité de collaborer pendant 12 ans avec Joanne Leighton. Sa pugnacité, son besoin de toujours réalimenter son travail m’ont fait énormément bouger, grandir. Avant chaque représentation, elle prend systématiquement une heure pour nous donner de nouveaux objectifs. Elle a ce désir fondamental de toujours aller comprendre un peu plus en profondeur ses pièces par le truchement de ses interprètes. La porosité entre son travail scénique, le travail avec les habitants, et la relation au territoire m’a énormément portée. Cette façon d’envisager le travail à 360°, sans créer de hiérarchie ou de barrière entre les différentes formes de création, a vraiment été une ouverture essentielle pour moi.

Une autre ouverture a été votre intérêt pour le bharata natyam, danse classique de l’Inde, qui se retrouve dans votre premier solo…

M.C. : Ça a été pour moi une révélation. Dans ce travail fou de dissociation, j’ai trouvé une danse complètement adaptée à mon corps, car elle nécessite beaucoup de puissance dans les jambes, beaucoup d’ancrage – moi qui me sentais comme un canard boiteux en classique à cause de l’élévation et de l’extension du corps. Cette danse était une évidence pour moi, mais j’ai ressenti un grand malaise quand il s’est agi d’être en représentation. J’avais l’impression d’une sorte de travestissement et d’en pervertir la pratique, car ce sont des danses liées à la religion hindoue, et la question de la dévotion m’est absolument étrangère. J’ai posé toutes ces questions dans Je suis tous les dieux, avec l’envie de fabriquer du sacré sur un plateau, de chercher ce que créer une forme liturgique voudrait dire pour moi.

« Le mécénat permet de fabriquer le projet dont on a rêvé. »

La dimension plastique a-t-elle été aussi très importante dans le duo suivant, Chêne centenaire ?

M.C. : Oui, et dans la prochaine création aussi. J’aime bien penser la scénographie en lien à la lumière, c’est une collaboration forte que j’ai avec Magda Kachouche. Nous tenons à l’aspect polymorphe de notre relation de travail et nous collaborons aux projets de l’une ou de l’autre à différents postes. J’ai une passion absolue pour les cabinets de curiosités et pour les dioramas, et quand je pense mes pièces, des dioramas se forment dans ma tête, qui se mettent ensuite en mouvement. Ce qui me saisit véritablement et me donne envie de créer, c’est de raconter des histoires, de fabriquer des mythes, de les questionner. Comme dans les contes, on se raconte toujours des histoires dans des décors, et j’ai besoin de poser les personnages dans un cadre.

Comment abordez-vous votre nouveau trio avec le mécénat de la Caisse des dépôts ?

M.C. : C’est la deuxième fois qu’ils me soutiennent, après Chêne centenaire. Leur dispositif est intéressant, le mécénat intervient en fin de production et permet de fabriquer le projet dont on a rêvé, quand il manque 20 000 ou 30 000 euros après le maillage des coproductions. Et j’apprécie beaucoup qu’il y ait une prolongation du soutien. Pour Chêne centenaire, il était question d’une forme de cosmogonie, pour Je suis tous les dieux, d’un travail autour du corps mythique, du corps déifié. Aujourd’hui, L’Amiral Sénès puise dans une légende familiale, le mythe de cet amiral qui fait partie de ma famille et qui a sa statue à Toulon. J’ai mené l’enquête, pour finalement me rapprocher de l’Histoire, et grâce à elle nourrir mon imaginaire. Sur scène, les trois interprètes sont comme trois itérations de ce même personnage. Je pense que mon travail est assez atmosphérique, et j’avais des visions assez précises des corps que je voulais voir. Je ne voulais pas de corps quotidiens, je voulais qu’on trouve ensemble une façon spécifique d’exister au plateau.

 

Entretien réalisé par Nathalie Yokel

A propos de l'événement

Je suis tous les dieux
du mardi 27 février 2024 au samedi 2 mars 2024
Théâtre de St-Quentin en Yvelines


Du 25 au 27 avril, à l’amphithéâtre de l’Opéra National de Paris.

L’Amiral Sénès : Création le 6 juin au Festival La Maison Danse, Uzès CDCN. Les 16 et 17 octobre aux Subs, Lyon.

 

Caissedesdepots.fr/mecenat

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