Partager l’espace et le geste
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Focus -232-Centre des Monuments Nationaux
Acrobate, jongleur et metteur en scène, Yoann Bourgeois travaille le vocabulaire circassien comme un motif et dévoile la métaphysique des corps. Dans Cavale, il fait résonner les consonances existentielles de la chute dans l’immensité des paysages.
D’où vient cet intérêt pour le motif de la chute, qui constitue la trame de Cavale ?
Yoann Bourgeois : Il s’inscrit dans une recherche que je mène sur le vocabulaire circassien à partir de figures élémentaires, ici le « tomber dos » qui fait partie des premiers exercices d’apprentissage du trampoline. Traiter cette figure comme un motif ouvre des territoires imaginaires inédits, en résonances avec ce qu’évoque ce terme dans la musique, dans le dessin ou dans la danse. Au cirque, la « valeur » d’un geste se mesure habituellement à la difficulté technique. A cette aune-là, le « tomber-dos » paraît faible. Il est pourtant immense par l’étendu de ce qu’il suggère. « La valeur d’une image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire. » disait Bachelard dans L’air et les songes. La chute ouvre à des significations foisonnantes, d’autant plus empathiques que tout un chacun éprouve la sensation qu’induit ce mouvement. Je ne vise pas l’enchaînement de numéros virtuoses. Mon intention est de capter les forces physiques à l’œuvre, rendues lisibles par le mouvement, par le rapport concret au réel.
La chute relève de la condition même de l’humain. Elle constitue notre expérience partagée. Quelle dramaturgie avez-vous développée pour en déployer la portée symbolique ?
Y. B. : Elle passe par le travail corporel et la scénographie. La chute n’est pas appréhendée abstraitement : c’est celle d’un homme qui monte un escalier ne menant nulle part. Elle est concrète et métaphysique. J’ai créé cette performance sur le belvédère Vauban, qui surplombe Grenoble. Je voulais donner à sentir le vertige que procure ce paysage qui s’ouvre au ciel, l’impression du vide. J’ai imaginé un escalier blanc, qui s’interrompt net. Pour faire résonner le motif de la chute dans ses multiples sens, j’ai puisé dans les formes musicales contrapuntiques. J’y ai trouvé le principe de composition chorégraphique. Cavale est construit en deux parties, qui jouent sur deux registres. Les personnages d’abord apparaissent masqués, presque grotesques. On entend la voix de Bachelard parler d’un texte de Pasolini sur la vitalité désespérée. Puis les personnages deviennent figures, emportées dans leurs incessantes ascensions et chutes, à l’infini.
Cette performance se déroule en extérieur, dans des lieux d’histoire et des paysages puissants. Comment interagit-elle avec le contexte ?
Y. B. : J’étais curieux de voir comment cette écriture, créée pour un lieu très particulier, composerait avec d’autres perspectives. Au fil des représentations in situ depuis cinq ans, j’ai constaté qu’elle parvenait facilement à poétiser l’espace. Elle joue sur l’immensité du ciel et le lointain de la scène, qui troublent la perception des proportions et font paraître les deux êtres comme perdus au milieu de nulle part, qui tentent de monter et tombent irrémédiablement, sans fin. Comme pour interroger le sens de la vie. Ou le non sens.
Entretien réalisé par Gwénola David
Trophée d’Auguste à La Turbie, 06320 La Turbie. Les 13 et 14 juin 2015. Tél. : 04 93 41 20 84. Place forte de Mont-Dauphin, 05600 Mont-Dauphin. Les 30 et 31 juillet 2015. Tél. : 04 92 45 42 40.
Tél : 01 44 61 21 50. www.monuments-nationaux.fr
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