Un Bruno protéiforme
Laurent Lévy et Benoit Di Marco avaient participé à la création de la version initiale de ce spectacle. Ils le reprennent aujourd’hui avec Pierre Hiessler, toujours avec le même enthousiasme !
Pourquoi avoir accepté d’incarner Bruno ?
Benoit Di Marco : De la physique quantique au ciel étoilé, ces sujets, ces thèmes nous intéressent autant que l’espace poétique qu’ils dégagent. Par ailleurs, la volonté de défendre ses convictions qui est celle de Bruno est primordiale à rappeler de nos jours où la liberté d’expression perd de son évidence et où la pensée peine à mettre en question le pouvoir.
Laurent Lévy : Les dogmes d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que ceux qu’affronte Bruno mais ils sont aussi puissants. Bruno est à son époque une figure émergente, la preuve que les coutures du monde dans lequel il vit sont en train de craquer. A cet égard, il touche une envie contemporaine que ça craque ! Même si ce spectacle est une pièce historique, ce n’est pas un son et lumières. De même que le Galilée de Brecht est une métaphore, de même cette pièce parle essentiellement de la recherche de la vérité et de l’exigence éthique contre l’obscurantisme rampant. Cette pièce nous parle de nous, de ce que nous sommes prêts à accepter, de ce pour quoi nous pouvons mourir.
Vous êtes trois pour un seul homme. Qui est vraiment Giordano Bruno ?
Pierre Hiessler : Il faut que chacun trouve son Giordano Bruno comme nous-mêmes l’avons fait pendant les répétitions. Il n’y a rien qui nous relie physiquement si ce n’est le costume. Notre personnage commun varie comme varient nos physiques et nos natures d’acteurs. Celui de Benoit est dans les étoiles et veut encore convaincre. Il a l’intuition de posséder la vérité et pourtant il n’est pas compris : en cela, il est peut-être le plus touchant. Le mien est plus provocateur : il affronte ses contradicteurs et a un côté sale gosse assez amusant ! Celui de Laurent est un jusqu’au-boutiste suicidaire : s’il faut aller jusqu’à la mort pour affirmer ses convictions, il est prêt et résolu à le faire.
La complexité de la pensée de Bruno a-t-elle constitué un obstacle à son incarnation ?
B. D. M. : A l’époque de Bruno, la science comme on l’entend aujourd’hui n’est pas encore inventée. Ses discours sont de l’ordre du poétique et de la sensation. Son écriture très belle, très imagée, est l’occasion d’un voyage à l’intérieur de la matière et dégage un espace de l’intuition, de l’imagination pure dont il est formidable de s’emparer.
L. L. : On trouve chez lui une sorte de rêverie du promeneur solitaire mais un rêve mâtiné de réel, pas fumeux du tout. Jouer Bruno, c’est défendre quelque chose de soi-même en tant qu’humain, parler de l’intérieur de soi à l’intérieur de l’autre, parler à l’autre de la part résistante en lui.
B. D. M. : Bruno nous rappelle que le rêve est notre seule échappatoire possible.
L. L. : Une échappatoire qui n’a pas pour but de nous éloigner du monde mais qui doit nous permettre de ne pas nous faire avoir par les représentations et les discours imposés.
Vous semblez tous heureux de participer à ce spectacle…
P. H. : Avant ce spectacle, je connaissais mal Bruno. Aujourd’hui, je le découvre encore et je crois que cet apprentissage est sans fin. C’est ce qu’il y a de beau et que j’aime dans ce métier : finir un spectacle moins bête que je ne l’ai commencé !
B. D. M. : Ce spectacle rend heureux car c’est important de faire des spectacles d’où la pensée se dégage. Ce spectacle n’est pas une conférence scientifique : il comporte une part ludique, grivoise parfois, qui permet de comprendre que la pensée est une forme de jouissance. C’est un bonheur peu courant de participer à ça !
Page réalisée par Catherine Robert
Texte publié aux Editions Gilletta.
Giordano Bruno – Des Signes des temps, spectacle conçu et mis en scène par Laurent Vacher. Du 14 au 16 octobre 2009 au Théâtre de la Méridienne à Lunéville. Les 22 et 23 octobre 2009 au Centre d’Art et de Culture de Meudon. Du 7 novembre au 12 décembre 2009 (du lundi au samedi à 20h30 ; le jeudi à 19h30) à l’Observatoire de Paris, 61, avenue de l’Observatoire, 75014 Paris. Renseignements et réservations au 01 44 84 72 20 et sur www.compagniedubredin.com