La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -171-sartrouville

Laurent Fréchuret

Laurent Fréchuret - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2009

Médée : une machine à jouer pour une transe d’aujourd’hui

Laurent Fréchuret, dont le contrat a été reconduit pour les trois saisons à venir par le Ministère, présente une saison marquée par plusieurs événements, et définit sa vision de Médée, qu’il monte dans une nouvelle traduction de Florence Dupont.

« C’est l’invention et la construction d’une “déesse de la race des femmes“ qui sont à l’œuvre. »

Après trois ans à la tête du Centre Dramatique National de Sartrouville, comment concevez-vous cette nouvelle saison ?
Laurent Fréchuret : Nous consolidons la mise en œuvre d’un Centre Dramatique National à Sartrouville et dans les Yvelines, avec au cœur de notre projet la création et la programmation théâtrale. Cette saison est marquée par trois événements. Le projet départemental se renouvelle et conforte la décentralisation, parallèlement à la biennale de création destinée aux enfants et adolescents, Odyssées en Yvelines. Ensuite, une petite salle de 250 places va être construite en extension du théâtre, nouvel outil de répetition et formation. Et puis en janvier trois comédiens permanents rejoindront l’équipe, ce qui enrichit considérablement le rapport à l’artistique dans une maison de création. Ils proposeront une création surprise en février et mars prochains, sur quinze dates. Cette saison est aussi marquée par un rayonnement du théâtre au-delà de Sartrouville et des Yvelines. Six de nos créations sont diffusées en série au fil de l’année, sans parler des spectacles d’Odyssées en Yvelines qui vont tourner sur plus de 200 dates. Notre création maison, Médée, sera reprise au Centre Dramatique de Besançon, Dijon, au théâtre de la Criée à Marseille et dans une dizaine d’autres villes.
 
Comment avez-vous abordé cette mythique tragédie d’Euripide ?
 
L. F. : J’ai décidé de mettre en scène Médée à deux conditions : convaincre Florence Dupont, remarquable traductrice des tragédies de Sénèque, d’en écrire une nouvelle traduction, et travailler avec Catherine Germain, souvent invitée à Sartrouville, dont la présence vibrante permet une relation avec le public d’une rare et intense proximité. Je voulais monter Médée par un théâtre de voix et de musique, pour réinventer une transe d’aujourd’hui, et Florence Dupont a confirmé mes intuitions par ses connaissances. Pendant un an, nous avons travaillé sur le rituel et la structure musicale de la tragédie grecque, immense machine à jouer. Ce théâtre se définit comme une fête tragique et populaire, rituelle et sacrée, concernant donc la communauté des mortels plus que celle des citoyens. L’éblouissante traduction de Florence Dupont est vraiment une matière à jouer, directe, physique et radicale.

Comment avez-vous intégré la musique à l’ensemble ?
L. F. : Euripide était réputé pour être un grand compositeur, un inventeur de musiques révolutionnaires. Les tragédies athéniennes étaient des opéras étranges, dont on a perdu le jeu, le chœur et la musique, comme le contexte social et religieux. Seul le texte a été conservé. Il ne s’agit pas de faire une reconstitution, mais de réinventer aujourd’hui un jeu et une musique, signée Takumi Fukushima, Dominique Lentin et Jean-François Pauvros. Une troupe de neuf comédiens et musiciens s’empare de cet outil exploratoire, un espace de liberté où l’on peut voir des choses insensées et interdites dans la vie sociale, où l’humain apparaît dans ses extrêmes débordements.

Comment définissez-vous Médée, épouse trahie qui tue ses propres enfants par vengeance ?
L. F. : Je ne pense pas que l’infanticide soit le sujet principal de Médée, c’est l’invention et la construction d’une “déesse de la race des femmes“ qui sont à l’œuvre. Alors que Médée est anéantie, bannie, expulsée non seulement socialement mais aussi affectivement par le nouveau mariage de Jason, elle va réussir à se venger, un acte jusque là exclusivement masculin. Elle refuse de mourir, se révolte et se reconstruit par vengeance. Elle outrepasse les tabous de l’humanité, tue la fille de Créon pour supprimer la possibilité pour Jason d’avoir une descendance, et tue ses propres enfants pour faire souffrir son mari. Par cet acte inouï, elle devient divinité sombre et inquiétante. Elle mue et cette métamorphose m’évoque les toiles de Francis Bacon qui parlent de l’humain de manière crue et terrible, à travers une mise à nu et à vif. L’essentiel est de voir comment se joue cette transformation. Médée n’est pas une histoire de théâtre, c’est le théâtre lui-même.

Propos recueillis par Agnès Santi


Médée d’Euripide, mise en scène Laurent Fréchuret, traduction Florence Dupont, du 6 au 23 octobre à 21h sauf jeudi à 19h30, relâche les 11, 12 et 18 octobre. Durée : 2 h15. 

A propos de l'événement



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