Tout un homme
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Focus -202-Maison de la Musique de Nanterre
Auteur, compositeur, le chanteur Boutaiba S’ghir fut l’un des créateurs du raï, en signant certains de ses grands classiques dès les années 60.
Le raï demeure très associé à la ville d’Oran…
Boutaïba S’ghir : En fait, le raï est né dans l’Oranais, une région qui fait le tiers de l’Algérie, avec énormément de villes. Chacune avait son propre folklore. Mais c’est vrai qu’Oran était la plaque tournante de tous les artistes : la seconde ville du pays en était la capitale culturelle. On jouait de tout : de l’hindou, du tango, de l’oriental, du jazz, de l’occidental, de la pop américaine… Ce mélange a facilité l’émergence du raï.
Vous êtes né à Aïn-Temouchent, la cité de grands poètes de la tradition bédouine oranaise : cela a-t-il joué dans l’émergence du raï ?
B. S. : Sans paroles, la musique n’a pas la même portée. Il faut savoir qu’avant moi, le mot « raï » était très peu utilisé dans les chansons. C’est nous qui avons mis en avant cette expression, « ya-rây », déjà utilisée dans la tradition. Ce mot signifiait « le regret, le repentir » ; il est devenu par la suite « raï ». Nous étions les héritiers de grands poètes, et nous abordions tous les sujets : la société, la famille, l’amour.
L’émergence du raï est-elle consécutive à l’indépendance de l’Algérie ?
B. S. : Je ne sais pas. En revanche, il est certain que c’était une époque très dynamique, où nous bénéficiions de relais et de soutiens. Par exemple celui de producteurs qui ont beaucoup œuvré pour cette réinterprétation du folklore, comme la maison oranaise Nouvelle Vague. Dans ma génération, nous avons mélangé les violons et les accordéons avec la flûte et le tambour du folklore bédouin. Plus tard, les chebs ont mis du synthé et des guitares électriques.
Comment avez-vous vécu l’arrivée des chebs du raï ?
B. S. : Tous les chebs sont les enfants de la génération qui les a précédés. La mienne. Messaoud Bellemou, Belkacem Bouteldja, Younès Benfissa… Les jeunes des années 80 ont donc trouvé le terrain préparé. Voilà ce que ce que je leur dis, avec les mots de la poésie : « Les chebs ce sont nos élèves, ce sont eux qui prennent la relève, je leur donne un coup de pouce jusqu’à ce que je crève, c’est mon plus beau rêve. »
Khaled a dit que vous étiez le vrai roi du raï…
B. S. : Khaled a repris une bonne douzaine de mes chansons. Il n’est pas le seul : Hasni, Mami, Sahraoui… Tous ne m’ont pas crédité. J’ai l’impression que pendant longtemps, les chebs ont eu peur de moi dans les soirées. J’ai attendu qu’ils m’appellent pour m’inviter. Rien. Ce n’est qu’après vingt ans, au début des années 2000, que Khaled a déclaré cela face au public. J’étais alors avec lui sur scène. Ce n’était qu’un juste retour des choses, enfin.
Propos recueillis par Jacques Denis
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