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Focus -201-ODEON / THEATRE DE L’EUROPE

LA REJOUISSANCE D’EN FINIR

LA REJOUISSANCE D’EN FINIR - Critique sortie Théâtre Paris THEATRE DE L’ODEON

Odéon 6e / Fin de partie
De Samuel Beckett / mes Alain Françon

Publié le 7 septembre 2012 - N° 201

Le metteur en scène Alain Françon reprend Fin de partie avec des interprètes virtuoses, Serge Merlin, Gilles Privat, Michel Robin et Isabelle Sadoyan. Une partition musicale, où importent chaque respiration et chaque silence, pour dire la “fin”.

“C’est un contresens de penser que cette fin, qui ne vient jamais, serait une douleur.”

Alain Françon

Pourquoi avez-vous décidé de monter Fin de partie de Beckett, alors que vos préférences vont vers les œuvres de Bond, de Tchekhov et d’Ibsen ?

Alain Françon : La proposition vient de Frédéric Frank, directeur à l’époque du Théâtre de la Madeleine. Comme j’ai monté beaucoup de pièces de Bond, une œuvre diamétralement opposée à celle de Beckett, ce choix peut surprendre. En fait, Fin de partie est la première mise en scène que j’ai faite à Saint-Étienne, et ce souvenir de mes jeunes années reste très précis. J’aime cette pièce majeure beckettienne. Cap au pire est aussi un texte magnifique. Et je vais monter bientôt un sommet de poésie, La Dernière Bande, avec Serge Merlin. Je suis surtout un admirateur du romancier Beckett, avec la trilogie Molloy, L’Innommable et Malone meurt.

En quoi l’œuvre de Beckett se confronte-t-elle à celle de Bond ?

A. F. : Edward Bond estime qu’une fois le constat fait, à travers le théâtre de Beckett, d’un monde profondément absurde, la conclusion serait : « Puisque c’est comme ça, allons jouer au billard ! ». Mais justement, au lieu d’aller jouer au billard, Bond tente de refonder la petite chose capable de retrouver la signification du mot « humanité ». Le point de vue se tient, puisque le système de Bond ne développe que des situations extrêmes dans lesquelles sont entrevus des gestes inexplicables, des actes, des personnages, qui sont autant de signes qui font réfléchir à la refondation d’un monde autre.

Beckett dans Fin de partie propose aussi une situation extrême…

A. F. : L’action pourrait se situer après le Déluge de Noé, un moment de grand chambardement. On ouvre un hublot, et on ne sait plus où est la terre ni la mer. La situation est extrême en ce qu’il n’y a plus rien, tel est le refrain qui revient sans cesse dans cette pièce énigmatique dont Beckett disait qu’elle était dénuée de sens. Rien ne peut en résumer le secret. On ne peut pas dire non plus que la situation serait plutôt celle de l’après-Shoah ou de l’après explosion atomique.

Quelle est votre intuition immédiate de cette œuvre ?

A. F. : Je crois que c’est sur le mot « Fin » que tout se joue car les deux personnages sont profondément menés par le désir d’en finir. C’est un contresens de penser que cette fin, qui ne vient jamais, serait une douleur. Elle est une précipitation jouissive, une réjouissance. La pièce est athée : nul salut, nul rachat. Reste cette fin prévue, avec le désir et le bonheur de l’accomplissement.

Les acteurs prennent plaisir à jouer le texte, à la façon d’une partition…

A. F. : On a coutume de dire que le théâtre beckettien se résume à des Pensées de Pascal, jouées par les Fratellini. Certes, il s’agit d’une machine côtoyant l’absurde et le dérisoire dans la jubilation d’une ironie mordante. Mais si le jeu est vif, la rencontre avec le personnage est également intérieure avec les figures du père et du fils, du maître et de l’esclave, l’expression des relations humaines et des relations de classe, de l’ironie et du tragique.

D’où provient cette fascination que provoque le théâtre beckettien ?

A. F. : Fin de Partie atteint un équilibre rare entre les mots et le silence ; aucune phrase n’est de trop, tout est évident. J’ai travaillé sur les cahiers de régie de Beckett, que j’ai réussi à obtenir ; l’auteur a monté deux fois la pièce. Il a procédé à de nombreuses coupes dans la version finale. Pour la mise en scène, je prends le texte tel quel ; je n’y touche pas, j’essaie de voyager avec. J’avance en tentant de comprendre le mouvement de l’écriture, un travail minutieux de phrase à phrase : des frictions peuvent apparaître, mais ce sont des explosions intérieures, elles ne viennent pas de l’extérieur.

Propos recueillis par Véronique Hotte

 

 

 

 

 

A propos de l'événement

Fin de partie
du jeudi 10 janvier 2013 au dimanche 10 février 2013
THEATRE DE L’ODEON
Place de l’Odéon, 75006 Paris

Du 10 janvier au 10 février 2013. Du mardi au samedi 20h, dimanche 15h. Tél :01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.fr
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