ART ET POLITIQUE
PHARES CONTESTATAIRES DE LA SCENE TUNISIENNE ET ARTISTES MONDIALEMENT RECONNUS, FADHEL JAÏBI ET JALILA BACCAR CONTINUENT D’ELUCIDER LA CONDITION DE « L’HOMO TUNISIANUS » AVEC AMNESIA.
« Une radioscopie plutôt qu’un règlement de comptes. » Fadhel Jaïbi
Que raconte Amnesia ?
Fadhel Jaïbi : C’est l’histoire d’un grand homme politique et de son limogeage dans une république dattière, et de sa descente aux enfers. Limogé, il sombre dans une dépression, s’enferme dans son bureau et un jour sa bibliothèque brûle. Suicide ou attentat ? Il en réchappe et devient l’objet d’une confusion mentale dans laquelle, comme dans un cauchemar, il voit surgir ses démons. Enfermé à l’hôpital, il se retrouve dans un monde interlope, trop réel pour être réel et trop cauchemardesque pour renvoyer à la réalité. Sorte d’arroseur arrosé, le grand homme devient victime du système qu’il a mis en place. Cette pièce burlesque et tragique est une radioscopie plutôt qu’un règlement de comptes : elle pose des questions auxquelles le pouvoir de notre pays autoritaire qui va à vau-l’eau ne répond jamais. C’est de la morale politique dont il est question dans ce spectacle.
Où en êtes-vous avec la censure ?
F. J. : Nous vivons dans un pays schizophrène où il n’y a de parole et de mémoire qu’officielles. Or nos spectacles interpellent la conscience individuelle et collective. Si le pouvoir nous laisse tranquilles, c’est parce que nous sommes son alibi pour faire croire que la liberté d’expression existe et parce qu’il peut craindre des retours de bâton s’il nous censure car le succès et la reconnaissance mondiale nous protègent. L’actuel Ministre de la Culture, un peu plus avisé que son prédécesseur, a essayé de marchander des coupes. Mais c’était tout ou rien et le spectacle a eu lieu. Le spectacle doit donc sa survie à l’autorisation du chef de l’Etat et le Ministre de la Culture s’en targue !
Dans quelle mesure la tragédie antique vous sert-elle de modèle, comme vous l’affirmez ?
F. J. : Dans la tragédie grecque, face à la conscience collective, l’individu est soit totalement intégré à la communauté, soit il se rebelle et est écrasé, soit il se détache du groupe et entre en dissidence. Les spectacles que nous fabriquons interrogent ces rapports. Ils provoquent la rencontre entre art et politique : le propos tenu est radical et les moyens artistiques très avancés. C’est cette rencontre qui plaît au public et fait notre succès.
Propos recueillis par Catherine Robert
Yahia yaïch Amnesia, scénario, dramaturgie et texte de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi ; mise en scène de Fadhel Jaïbi. Du 26 au 29 janvier 2011 à 20h.