La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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ERIC LACASCADE

ERIC LACASCADE - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2011

LA COMPLEXITÉ DE L’HUMAIN

PIECE A JAMAIS INACHEVEE TANT ELLE DONNE PRISE AUX INTERPRETATIONS, LE TARTUFFE DE MOLIERE OFFRE UNE INEPUISABLE MATIERE DE TRAVAIL. LE METTEUR EN SCENE ET ACTEUR ERIC LACASCADE S’EMPARE AUJOURD’HUI DE CE CLASSIQUE AVEC SA TROUPE POUR EN SONDER TOUTE LA COMPLEXE OPACITE.

« Je cherche d’abord l’authenticité dans les situations, pour garder les interprétations ouvertes. » éric Lacascade
 
 
Chaque époque donne un éclairage différent de la pièce. De quoi Tartuffe est-il le révélateur pour vous ?
éric Lacascade : Tartuffe s’introduit au cœur d’une famille bourgeoise en crise, travaillée par des manques, des vides, des antagonismes et des non-dits. Le père, Orgon, a pris pour épouse Elmire, une femme de la génération de ses enfants. Il entretient une relation difficile avec sa propre mère, austère dévote, écarte son fils héritier mais a pour sa fille une tendresse ambiguë et la donne à un autre ; il déteste son beau-frère Cléante, un habile bretteur éclairé – voire libertin, mais craint tout autant le bon sens de Dorine, nourrice et mère putative. Elmire et son frère portent une conception de la vie radicalement différente de celle d’Orgon, une vision qui laisse place au ludisme et au plaisir. Cette communauté familiale recomposée devient un champ de bataille où la ruse, les attaques et les coups d’éclats se succèdent. Tartuffe va se glisser dans les failles, les creuser pour y faire sa place et exercer son pouvoir. Il se sert d’Orgon qui se sert aussi de lui. Leurs rapports s’inversent constamment, jusqu’à ne plus savoir qui est dominé ou dominant.
 
La relation entre Tartuffe et Orgon reste très ambivalente.
é. L. : L’un poursuit des intérêts matériels et convoite la maison mais succombe au sentiment amoureux, tandis que l’autre cherche à restaurer le pouvoir qu’il a perdu sur sa femme et ses enfants, ce qui l’entraîne dans une passion et une exaltation critique. Tous deux sont pris dans un jeu très complexe. Leur relation garde une certaine opacité, nécessaire. Il ne faut pas tout expliquer. C’est cette complexité qui nous approche de l’humain.
 
Comment entendez-vous la question de la religion, sans cesse évoquée par Tartuffe ?
é. L. : J’appréhende la religion comme un outil qui permet d’assurer une emprise et de faire taire toutes les objections. L’invocation des lois supérieures du ciel répond sûrement chez certains à une inquiétude spirituelle. Peu importe que Tartuffe soit un dévot ou un hypocrite : dès lors qu’il sait accomplir le rituel, il peut exercer le pouvoir, jusqu’à la tyrannie. A mesure qu’une âme s’enfonce dans la dévotion, elle perd le goût et le sens du réel. L’éblouissement de la foi la rend aveugle. Cela me terrifie… Mon métier est d’y voir clair, en étudiant des textes, en rencontrant le public, en observant les passions humaines.
 
Si les faiblesses de la chair sont sans cesse condamnées, il règne cependant un commerce des corps dans cette maison.
é. L. : La tentation charnelle rôde en permanence. Les corps sont désirés, donnés, se dérèglent, emportés dans des accès de violence et d’excitation. Il y a une relation marchande, d’échanges voire d’échangisme, quand bien même les costumes ne laissent rien apparaître. C’est aussi un corps bouffon, dérangeant, proche de la Commedia dell’arte. Tartuffe est une farce.
 
Comment cheminez-vous dans le texte pour restituer cette complexité ?
é. L. : Je me garde d’avoir une lecture a priori. Dans notre époque obscure, mon travail est d’accepter toute la complexité de l’individu et de l’étudier, plutôt que d’apporter une solution ou une vision. Il faut travailler sur plusieurs couches en même temps. La pièce de Molière, en alexandrins, repose sur une langue formelle, sur des situations très claires, des personnages bien dessinés. Je prends chaque scène et je regarde ce qu’elle amène comme jeu, comme enjeu. Jouant le rôle de Tartuffe, je cherche d’abord l’authenticité dans les situations, pour garder les interprétations ouvertes. Ce personnage est fait par les circonstances et par ce que chacun investit sur lui. Il est d’autant plus habile qu’il réagit. Sa force est de permettre à chacun de se projeter, comme un trou noir.

Entretien réalisé par Gwénola David


 
Tartuffe, de Molière, mise en scène d’éric Lacascade. Du 6 au 23 octobre 2012.

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