Entretien Wilfried Wendling
« Toutes nos musiques sont politiques »
Nouveau directeur de La Muse en circuit, le compositeur Wilfried Wendling entend placer le spectacle vivant au cœur du projet du Centre national de création musicale.
Quel est votre projet pour La Muse en circuit ?
Wilfried Wendling : Je souhaite passer d’une logique de coproduction à une logique de production, en plaçant le spectacle vivant au cœur de notre projet, parce que c’est l’endroit où la musique doit être. C’est aussi le meilleur moyen d’ouvrir nos musiques à un public plus large, non pas en devenant plus consensuels – au contraire, je tiens à ce que nous conservions notre radicalité – mais en étant davantage visibles. Aujourd’hui, la scène est accaparée par les gens de théâtre parce que la notoriété est du côté des metteurs en scène, pas des compositeurs. Or, nous avons besoin de figures visibles. C’est pourquoi je défends les compositeurs qui mettent eux-mêmes en scène.
« La multiplication des héritages a ouvert un espace de liberté. »
Est-ce aussi un désir de la part des compositeurs ?
W. W. : En tout cas, il y a dans la jeune génération un certain nombre de personnalités qui se sont saisies de cette question, comme Roland Auzet, Benjamin Dupé, Pierre Jodlowski, Franck Vigroux ou Samuel Sighicelli. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau : sans même remonter jusqu’à Wagner, Georges Aperghis ou Heiner Goebbels sont d’incontestables références. S’intéresser à la dimension scénique de la musique permet de dépasser les querelles anciennes et de se démarquer de la seule filiation avec la musique dite classique. Quand François Sarhan écrit pour quatre guitares électriques et un « orchestre » de synthétiseurs analogiques, on est toujours dans l’écriture, mais plus dans le « classique ». Et d’ailleurs, l’écriture est-elle la seule base de l’écriture contemporaine ? La multiplication des héritages – parmi lesquels le rock, les musiques improvisées – a ouvert un espace de liberté qu’on ne peut plus ignorer aujourd’hui.
Le festival Extension laisse d’ailleurs moins de place cette année aux concerts de « musique pure »…
W. W. : Le concert est sans doute l’une des choses les plus difficiles à défendre aujourd’hui, où toute musique purement instrumentale qui dépasse les trois minutes peut être considérée comme expérimentale parce qu’elle va contre les habitudes du public. Et la complexité des partitions, qui oblige les musiciens à lire la musique sur scène ajoute à l’austérité en même temps qu’elle empêche une écoute mutuelle aussi forte que dans les musiques improvisées. Bien sûr, cela ne veut pas dire que le concert n’a plus sa place dans notre programmation, mais il faut en repenser la forme. On voit cette réflexion déjà à l’œuvre chez des compositeurs comme Simon Steen-Andersen [que l’ensemble 2e2m jouera dans le cadre d’Extension le 30 avril] qui exercent une pensée de la scène très originale. C’est seulement à travers une vraie pensée scénique que l’on pourra à l’avenir défendre des musiques radicales.
Plusieurs spectacles présentés lors d’Extension s’attachent à des thématiques sociales ou politiques. Est-ce une volonté de porter un « regard sonore » sur le monde ?
W. W. : La question politique est complexe : comme citoyen du monde, on a le désir de s’emparer de ces sujets, mais leur traitement artistique est souvent maladroit et assez naïf. Par ailleurs, je pense que toutes nos musiques sont politiques. Faire écouter des choses aussi différentes dans un monde aussi cloisonné, c’est déjà un acte de résistance au nivellement de l’écoute musicale. Il faut redonner à la musique sa diversité, repousser les barrières du musical. N’oublions pas que les musiciens ont toujours été d’abord les « écouteurs » du monde qui les entoure.
Propos recueillis par Jean-Guillaume Lebrun
A propos de l'événement
Wilfried Wendlingdu mercredi 30 avril 2014 au mardi 27 mai 2014
La Muse en circuit
18 Rue Marcelin Berthelot, 94140 Alfortville, France
Tél. 01 43 78 80 80