La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -216-ENSEMBLE 2E2M

Entretien Pierre Roullier

Entretien Pierre Roullier - Critique sortie Classique / Opéra
© E. Kongs

Publié le 20 décembre 2013 - N° 216

Performance et répertoire 

Voilà dix ans que Pierre Roullier dirige l’Ensemble 2e2m. Convaincu de la fécondité des rencontres et de l’intérêt du dialogue entre les arts comme entre les artistes, il a largement contribué à faire de 2e2m un découvreur de talents et un fondateur de répertoire.

« Le concert est ici à prendre comme expérience performative. »

Comment se situe 2e2m dans le paysage de la musique contemporaine ?

Pierre Roullier : Comme dans tout milieu, on trouve dans celui de la musique contemporaine des éléments positifs qui le constituent, génèrent des liens, de la sociabilité, des réseaux et dégagent une énergie commune. Mais aussi de riches débats théoriques, des polémiques esthétiques voire philosophiques, certains productifs, d’autres inutiles et décourageants. Les questions d’opposition entre musique écrite et musique improvisée, musique instrumentale et musique électroacoustique, musique savante et musique populaire, musique prospective et musique antimoderne réapparaissent régulièrement. Cela étant, cette ébullition contribue à la richesse et à la consistance de ce milieu. De plus, ces débats ne découragent pas notre public. Pour 2e2m, sa présence toujours importante nous prouve que ce que nous faisons a du sens, et nous conforte dans le sens de la recherche et du défrichage. Ne pas stagner dans le même sillon…

Pourquoi ce choix annuel d’un compositeur en résidence ?

P. R. : Présenter au public chaque année un compositeur sur le temps d’une résidence lui permet de pénétrer plus intimement l’univers de cet artiste, de saisir en profondeur le sens de sa démarche, ses problématiques, sa manière d’inventer sa musique. Je l’éclaire aussi en articulant les programmes de la saison autour de ses pièces. Saison après saison, nous choisissons ainsi différents points de vue, offrant une perspective subjective mais en profondeur de la création musicale actuelle. Cette année, j’ai choisi un compositeur situé au cœur d’un questionnement artistique ultra contemporain. Simon Steen-Andersen est un sound artist et un performer qui transpose sur scène des manières de faire de l’art plastique. Il interroge le lieu et les acteurs de la performance, produisant des œuvres qui prennent sens par le moment unique où elles sont vues et entendues. Le concert est ici à prendre comme expérience performative. J’ai voulu un compositeur irrigué par d’autres interrogations artistiques que la seule musique, en l’occurrence la question du visuel, de la présence/absence des interprètes, mais aussi de la société créée entre les acteurs.

Quelle est l’originalité de Simon Steen-Andersen ?

P. R. : Simon Steen-Andersen se pose la question du visuel non pas comme une excroissance de la musique, mais comme un élément situé à l’intérieur d’elle. Il ne s’agit pas pour lui d’ajouter quelque chose, mais de partir de la musique comme elle se donne à voir : toute la dimension visuelle dans ses œuvres est d’ailleurs écrite avec la même méticulosité que la notation musicale. Traditionnellement, l’œuvre est close, ignorante du lieu et de sa représentation. Il y a certes déjà eu des expériences de forme ouverte, mais aujourd’hui il est possible d’interroger l’œuvre en la distribuant dans des salles différentes ou en ne la confiant pas seulement à des spécialistes. Le compositeur demande au hors-champ, musical ou spatial, d’être un élément de l’écriture de la pièce. L’écoute en est bouleversée, le temps de l’exécution réinterrogé, l’idée de l’œuvre close et circonscrite remise en cause.

Pourquoi ce choix d’un compositeur danois ?

P. R. : Il y a des pays ou des régions qui ont des relations fortes entre eux : ainsi l’Amérique du Sud et l’Europe (France, Italie, Allemagne), ou l’Europe avec les compositeurs d’Extrême-Orient. Mais certaines régions pourtant très proches géographiquement ont moins de relations : ainsi la France avec le Royaume-Uni ou les pays du Nord, qui ont pourtant une vie musicale très intense. Inviter cette année Simon Steen-Andersen permet de témoigner de l’œuvre d’un compositeur très important, mais est aussi l’occasion de parler de ce « petit » pays aux très nombreux compositeurs originaux.

De quoi cette saison est-elle faite par ailleurs ?

P. R. : Cette année, nous montons trois formes opératiques dont la création nous tient à cœur. Thierry Machuel a travaillé à partir d’un film puis d’un livret de la réalisatrice Yamina Zoutat, autour de trois femmes qui viennent visiter leurs enfants emprisonnés et conversent en lavant leur linge. Ces Lessiveuses sont une très belle chose, très émouvante. Mets l’ancolie, écrit par Benjamin Hertz sur un livret d’Eugène Durif, est un conte distancié et opératique dont le ressort dramaturgique n’est pas sans rapport avec les jeux vidéo. Enfin, Aurélien Dumont a collaboré avec le magnifique philosophe Dorian Astor, retravaillant des fragments de Büchner pour composer Chantier Woyzeck, une œuvre qui génère une proposition beaucoup moins figée des personnages que l’opéra de Berg. Là encore, cette remise en question de la fixité correspond à la thématique de notre saison. Dans le même esprit, j’ai voulu inscrire dans nos concerts des œuvres à forte dimension théâtrale en demandant aux interprètes d’abandonner leur statut établi et d’investir le terrain de la scène de manière différente. Ce pourquoi, évidemment, il faut venir « voir » le concert !

Est-ce donc que la musique contemporaine est éphémère ?

P. R. : Non, il n’y a pas que de l’éphémère dans la musique contemporaine ! Les œuvres ne sont pas seulement des one shot : elles sont destinées à vivre. Une preuve : nous accompagnons le succès de Chat perché, Opéra rural, pièce créée il y a trois ans et qui atteint sa soixantième représentation. Une autre : le It de Franck Bedrossian a été joué près de cinquante fois. Là est aussi l’intérêt, pour nous, de nous confronter pendant un an au compagnonnage avec un compositeur, dont 2e2m devient ainsi l’interprète privilégié. Une fois la résidence annuelle terminée, on continue ! La création d’un répertoire est l’inverse de l’éphémère.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

 

Ensemble 2e2m, 15, boulevard Gabriel-Péri, 94500 Champigny-sur-Marne. Tél. : 01 47 06 17 76. Site : www.ensemble2e2m.com

 

A propos de l'événement


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