Entretien / Cyril Cotinaut
Plongée au milieu des Atrides Electre de [...]
Focus -223-Le Théâtre National de Nice
Adapté de deux chapitres du roman Les quarante Jours du Musa Dagh, de Franz Werfel, Le Cercle de l’ombre revient sur la tragédie du génocide arménien. Une tentative de raconter l’irracontable…
Qui est Johannes Lepsius, le personnage principal du Cercle de l’ombre ?
Hovnatan Avédikian : Il y a peu d’informations sur « le lanceur d’alerte » qu’était Johannes Lepsius. Né en Allemagne à la fin du XIXème siècle, ce pasteur humaniste est venu au secours des minorités chrétiennes de l’empire ottoman. S’élevant contre les massacres de chrétiens en Anatolie, durant la Grande Guerre, il a été, à l’époque, accusé de mettre en péril l’alliance germano-turque. Il a terminé sa vie en exil, en Italie.
Ce projet de théâtre est pour vous une façon d’interroger « le noir mystère » du génocide arménien. Quelle relation entretenez-vous avec cette tragédie ?
H. A. : Ma famille fait partie des rescapés de ce programme génocidaire. Mais il faut se rendre compte que les dommages causés par cet événement vont au-delà des horreurs perpétrées en 1915. Cent ans après le génocide, les plaies ne sont toujours pas cicatrisées, les haines, les antagonismes et les peurs occupent les esprits d’un côté comme de l’autre. Peu de gens connaissent les causes réelles et les origines de ces stigmates. En 2014, je remarque qu’en France, les communautés sont plus divisées que jamais. Mettre en scène Le Cercle de l’ombre est aussi une façon de raconter d’où vient l’idéologie nationaliste qui nourrit et alimente la division entre les peuples.
Au-delà de ce thème, qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans le roman de Franz Werfel ?
H. A. : Différents aspects de ce texte m’ont nourri, inspiré, et je dirais même soigné… A travers l’histoire de Lepsius, cet antihéros dépassé par la realpolitik, on comprend de façon simple, claire, et même ludique, les grandes lignes du génocide arménien, ainsi que les enjeux de la Première Guerre mondiale. Werfel rend hommage au combat mené par Lepsius contre l’anéantissement d’un monde multiethnique, multiculturel, au profit des nouveaux Etats-nations que nous connaissons aujourd’hui. Ces sujets « historiquement lourds » sont explicites sans pour cela constituer les thèmes principaux du roman. C’est précisément ce qui m’intéresse dans ce texte. Le gros du travail d’adaptation a consisté à faire passer les personnages du roman, qui sont « horizontaux », à des personnages de théâtre « verticaux », des personnages qui existent par l’action et le verbe. Le sujet du génocide arménien est traité en donnant la parole non pas aux victimes, mais aux bourreaux, aux alliés européens, et à d’autres franges de la population ottomane, moins connues, comme les derviches. Cela permet d’aborder le sujet de façon plus distanciée. Et de raconter l’irracontable.
Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat
Théâtre National de Nice, Promenade des Arts, 06300 Nice. Tél. : 04 93 13 90 90. Site : www.tnn.fr
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