La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -223-Le Théâtre National de Nice

Entretien / Irina Brook

Entretien / Irina Brook - Critique sortie Théâtre Nice _THEATRE NATIONAL DE NICE
Irina Brook Crédit : Tamara Tsriffez

Publié le 31 août 2014 - N° 223

La fête et le partage

Directrice du Centre Dramatique National Nice-Côte d’Azur depuis le 1er janvier 2014, Irina Brook articule sa première saison en trois temps, et la place sous le signe de la fête et du partage.

« Un théâtre accessible, festif, et tout sauf élitiste. »

Que représente, à vos yeux, votre installation à la tête du CDN de Nice ?

Irina Brook : C’est l’aboutissement d’un voyage personnel et théâtral commencé dans ma petite enfance. J’ai mené jusque là une vie de bohème, avec une soif de liberté absolue, qui a rendu le chemin compliqué. Mon énorme expérience des tournées, des villes et des publics différents rendait difficile le fait de se poser quelque part. Or ce qui est très excitant dans cette arrivée à Nice est de pouvoir profiter de ce moment pour rassembler tout ce que j’ai pu découvrir et comprendre au fil de mes voyages théâtraux. C’est une autre sorte d’énergie de pouvoir installer cette force en un lieu. Depuis toujours, je suis une ligne théâtrale idéaliste, ni carriériste ni logique. Mon envie de faire du théâtre a toujours été guidée par celle d’un vrai échange avec le public et par le désir d’amener quelque chose au monde. Je rêvais d’un lieu léger et précaire, avec des guirlandes, et tout à coup, la chose contraire m’est offerte : un gros CDN subventionné avec un lourd cahier des charges. Et pourtant, je me suis vite rendu compte que je n’avais rien abandonné. En mettant des guirlandes sur la terrasse, on peut faire naître la magie champêtre en plein Nice, et cultiver des échanges humains comme dans un petit théâtre en bois. La seule chose qui compte, c’est l’humain, le public, l’équipe, afin de porter un projet jusqu’au bout. Je n’abandonne rien de ce que j’ai toujours fait, et j’ai découvert que ce théâtre était le meilleur endroit pour cela. Le public niçois a soif de ce théâtre et de cet échange. Après l’éphémère, j’ai choisi la communauté et la fidélité, ce qui me correspond, puisque, au fond, je suis quelqu’un de grégaire et d’amical !

Pourquoi choisir de ponctuer la saison en trois temps, L’éMOI en scène, Shake Nice ! et Le Printemps des femmes ?

I. B. : Plutôt que de programmer une chose après l’autre, j’ai voulu des spectacles s’insérant dans les passions qui me tiennent à cœur de partager. Avec Shake Nice !, il s’agit de secouer l’impression que nous avons, en France, que Shakespeare ne nous appartient pas complètement, alors que c’est l’auteur le plus profond et le plus populaire au monde. En présentant un Shakespeare de toutes formes et de tous les pays, nous commençons à construire un premier festival international Shakespeare au Théâtre de Nice, avec le projet de le continuer année après année. L’éMOI en scène vient d’une double contrainte, artistique et pratique. Le budget plutôt maigre de la fin d’année 2014 nous fait privilégier des spectacles de personnes seules en scène, et la petite salle du théâtre, une des plus belles que je connaisse, permet de célébrer l’acteur, chanteur ou danseur courageux et seul dans l’intimité avec le public. Le Printemps des femmes s’articule aussi autour d’une problématique que je veux continuer d’explorer. J’ai été choisie pour diriger ce théâtre en pleine polémique sur la parité, et je ne sais à quel point ça a influencé ma nomination. En retour, c’était bien la moindre des choses de célébrer les femmes au théâtre.

A cet égard, vous présentez Shakespeare’s Sister ou La Vie matérielle, d’après Woolf et Duras.

I. B. : Voilà cinq ans que j’ai envie de faire quelque chose autour de La Vie matérielle de Duras. J’ai lu ce texte alors que déjà metteur en scène, j’avais des enfants en bas âge et étais prise entre la lessive et la vaisselle ! Ce texte qui évoquait la vie d’une artiste avec des problèmes de linge à laver m’a semblé vraiment pertinent ! Duras évoque Une chambre à soi de Virginia Woolf: je me suis rendu compte que les deux textes résonnaient et constituaient un ensemble intéressant sur la femme et l’artiste. Mes raisons sont donc largement autobiographiques, mais je crois que ces textes sur la mère et la femme sont importants pour tout un chacun, et je me retrouve dans ce double discours féministe voilé par une chose très tendre.

Pourquoi choisir d’ouvrir la saison avec Peer Gynt ?

I. B. : C’est un spectacle en gestation depuis une trentaine d’années. A dix-huit ans, jeune comédienne, je vivais à New York dans un monde assez rock, et je côtoyais des musiciens comme Iggy Pop ou David Bowie. J’ai découvert Peer Gynt et sa lecture a été un émerveillement : j’avais imaginé un spectacle, alors, mais n’aurais jamais cru que j’y reviendrais trente ans plus tard, pour le festival de Salzbourg ! Après Shakespeare, ce texte, comme un grand poème sans contraintes de lieu et de forme, est vraiment ce qu’il y a de plus universel : il laisse le metteur en scène absolument libre d’inventer à sa guise. Quelle serait la version contemporaine de ce garçon égoïste et ambitieux avide de célébrité, de gloire et d’argent ? Il me semblait fidèle à l’esprit du texte d’en faire un chanteur de rock, dans une version contemporaine et musicale. L’ouverture de saison constituait une opportunité idéale pour recréer et retravailler ce texte. Je voulais que mon projet pour Nice soit ouvert sur l’international et le monde, sur la différence. Je voulais un théâtre qui soit différent de celui qu’on connaît. Je voulais donc montrer tout de suite quelque chose qui donne le ton de la suite : accessible, festif, et tout sauf élitiste.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Peer Gynt
du jeudi 25 septembre 2014 au dimanche 25 janvier 2015
_THEATRE NATIONAL DE NICE
Promenade des Arts, 06000 Nice, France

Peer Gynt, du 25 septembre au 18 octobre 2014. Shakespeare’s Sister ou La Vie matérielle, du 9 au 25 janvier 2015.

Théâtre National de Nice, Promenade des Arts, 06300 Nice. Tél. : 04 93 13 90 90. Site : www.tnn.fr

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