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Focus -280-Les Gémeaux à Sceaux

Abgrund, l’abîme de Maja Zade, mis en scène par Thomas Ostermeier

Abgrund, l’abîme de Maja Zade, mis en scène par Thomas Ostermeier - Critique sortie Théâtre Sceaux Théâtre Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux
© Arno Declair Abgrund, création de Thomas Ostermeier.

Théâtre / texte de Maja Zade / mes Thomas Ostermeier
Entretien

Publié le 25 septembre 2019 - N° 280

Evénement ! Fidèle des Gémeaux depuis une quinzaine d’années, Thomas Ostermeier y crée une pièce de Maja Zade, auteure méconnue en France. Une pièce remarquablement construite qui met en scène un banal dîner entre amis, soudain frappés par une tragédie. Comme la vraie vie, l’imagination est capable du pire… Ou vice versa.

Qui est Maja Zade ?

Thomas Ostermeier : Maja est dramaturge à la Schaubühne depuis 1999, dramaturge au sens allemand du terme, ce qui ne signifie pas auteur mais plutôt conseiller ou accompagnateur critique. Nous travaillons ensemble depuis vingt ans, mais, si elle a traduit divers ouvrages en anglais ou allemand – Lars Noren, Caryl Churchill, Marius von Mayenburg… -, elle a commencé à écrire récemment. A sa manière singulière, elle s’inscrit dans une certaine veine scandinave et anglaise, dans le sillage par exemple d’August Strindberg, Harold Pinter, Lars Noren, Sarah Kane, Edward Bond… Nous avons créé cette année à la Schaubühne deux de ses textes : en janvier Status Quo, dans la mise en scène de Marius von Mayenburg, et j’ai créé en avril L’abîme, un texte que je trouve très fort.

Qu’est-ce qui vous a motivé dans ce texte ?

T.O. : Ce qui m’a d’emblée frappé, c’est son langage, ses dialogues extrêmement proches de la réalité actuelle d’un milieu qu’en France on pourrait qualifier de bourgeois ou plutôt de bobo. La grande différence entre cette pièce et les autres pièces qui habituellement traitent du milieu bourgeois, c’est d’abord une différence générationnelle. La pièce dépeint une nouvelle génération d’un nouveau monde, celle de trentenaires voire quarantenaires, qui ne considèrent pas le monde et la société de la même manière que leurs aînés. Ils n’entretiennent pas le même rapport au racisme, au sexisme, au capitalisme… Ils ont plutôt réussi, se disent engagés, et sont en train de s’installer. Le texte dépeint des gens plus informés qu’avant, plus éduqués, très conscients de l’état problématique du monde et pourtant incapables de vivre en se fiant à cette conscience, incapables d’agir en tenant compte de tout leur savoir. Très intelligemment structuré, le texte opère une déconstruction totale et une destruction de cette façade.

Selon quelle trame narrative ?

T.O. : La pièce met en scène un dîner entre amis dans un quartier bobo berlinois, dont les discussions évoquent toutes sortes de sujets : l’aménagement de la maison, les enfants, la vie de couple, la musique, le cinéma, l’avion, la cuisine, les maisons de campagne, les questions politiques du moment… La scène pourrait se dérouler à Paris ou dans n’importe quelle ville occidentale. Un couple reçoit un autre couple ainsi qu’une femme seule et un homme seul, homosexuel, qui arrivent un peu plus tard. Dans la chambre des enfants dorment une fillette de cinq ans et un bébé, sa petite sœur. Au cours de la soirée, les personnages sont confrontés à une tragédie brutale. Un enfant meurt, et les personnes autour du couple frappé par le destin s’avèrent incapables de réagir d’une manière humaine. Ils sont tétanisés. Toutes leurs valeurs humanistes affichées sont remises en question. Et la tragédie s’accompagne d’une déconstruction formelle.

« Le texte propose une sorte de collage, comme un miroir cassé qui démultiplie et interroge l’histoire. »

Quel est votre regard sur cette déconstruction ? Sur l’éclatement de la narration ?    

T.O. : Il s’agit de bien lire et comprendre la pièce. Avant même le drame, Maja creuse deux sillons, crée deux versions de la soirée. L’une avec la tragédie et l’autre sans, comme s’il s’agissait alors du fantasme de l’un des participants à la soirée, où le bla bla autour de la table est d’une telle superficialité que quelqu’un imagine alors ce cauchemar suscitant une peur absolue afin de faire éclater la surface. La tragédie qui fait irruption est racontée parallèlement à une soirée normale, et ce deuxième niveau de la narration fait contrepoids et se déploie comme une sorte de caricature de la soirée banale, une caricature qui questionne le réel que nous connaissons. C’est un aspect très important de la pièce que de nombreux critiques allemands n’ont pas compris. Les premières traces de la tragédie apparaissent très tôt, la chronologie du temps est éclatée, constamment ponctuée de sauts dans le temps. La pièce propose une sorte de collage, comme un miroir cassé qui démultiplie et interroge l’histoire, qui examine aussi le vernis des clichés et des repères.

Comment expliquer la superficialité des personnages ?

T.O. : Je ne peux pas répondre à de telles questions, et je ne veux pas juger. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer sans expliquer, c’est de mettre en scène avec une certaine acuité et une certaine pertinence pour que la pièce soit convaincante pour le spectateur. Les questions qui découlent de la représentation, je ne peux pas y répondre. Face aux possibles interrogations, face aux défis politiques et aux défis de l’existence, chacun s’efforce de trouver ses propres réponses à ses propres questions.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Abgrund, l’abîme de Maja Zade, mis en scène par Thomas Ostermeier
du jeudi 3 octobre 2019 au dimanche 13 octobre 2019
Théâtre Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux
49, avenue Georges Clemenceau, 92 330 Sceaux.

Spectacle en allemand surtitré.

Spectacles du mardi au samedi à 20h45, le dimanche à 17h.

Tél : 01 46 61 36 67.

www.lesgemeaux.com

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