Focus -280-Les Gémeaux à Sceaux
Linda Vista et A Love Suprême de Dominique Pitoiset
Théâtre / Linda Vista/ de Tracy Letts / mes Dominique Pitoiset / première en Ile-de-France
Théâtre / A love suprême / de Xavier Durringer / mes Dominique Pitoiset / première en Ile-de-France
Entretien
Publié le 25 septembre 2019 - N° 280
Après Un été à Osage County, le metteur en scène Dominique Pitoiset propose aux Gémeaux une pièce du dramaturge contemporain américain Tracy Letts. Comédie urbaine cristallisée sur un personnage central, figure du quinquagénaire, Linda Vista portraitise le moment de bascule d’une vie d’homme. Il reprend aussi A Love Suprême, un spectacle percutant.
« Le quinquagénaire est celui qui a le plus à dire mais personne ne veut écouter. », affirmez-vous dans votre note d’intention. Que voulez-vous faire entendre ?
Dominique Pitoiset : Qui voudrait écouter le quinqua ? Attention, je ne parle ici que du spécimen de sexe masculin. Il est pris entre les jeunes et les vieux, autant dire entre le marteau et l’enclume. Quinquagénaire, aujourd’hui, c’est un peu plus que « le milieu du chemin de la vie » dont parlait Dante. Mais ce n’est pas non plus le bout du chemin, loin de là… Sauf que pendant longtemps, ça l’a été. Dans « Comme il vous plaira », Shakespeare distinguait sept âges de la vie. Nous autres modernes, nous avons simplifié tout cela : trois âges nous suffisent, quatre à la rigueur… On peut se faire illusion mais cela n’empêche pas le compteur de tourner. Le héros de « Linda Vista », Wheeler, dans sa tête, n’a pas vraiment quitté les seventies : c’est le monde qui a vieilli, pas lui. Il n’a d’ailleurs pas entièrement tort. Et déjà, là, il a certainement beaucoup de choses à nous dire. D’un autre côté, il n’a pas totalement raison non plus car il y a quand même des leçons – et certaines peuvent être très dures – qu’il devrait avoir apprises.
La pièce est portée par des acteurs belges. Comment les avez-vous rencontrés ? Pourquoi avoir fait ce choix ?
D.P. : Les acteurs belges sont excellents. Ils sont curieux, attentifs. Ils ont le sens du texte et celui de la troupe. Ils incarnent les textes, s’en imprègnent, et vont bien au-delà de la dimension verbale. J’aime beaucoup cet engagement-là. Par ailleurs, j’ai noué des liens de grande confiance avec Serge Rangoni, le directeur du Théâtre de Liège. La ville possède également un Conservatoire d’un très bon niveau. De fil en aiguille, j’ai pu voir jouer de nombreux comédiens, à commencer par Jan Hammenecker, qui va inaugurer son propre « quinquagénat » en jouant Wheeler. Je l’ai vu jouer un Tchekhov en flamand et j’ai été immédiatement séduit par sa présence, son intelligence de jeu. J’ai construit autour de lui une distribution dont je suis très fier, avec des artistes dont certains, j’en suis sûr, seront de vraies découvertes pour le public français.
« Il s’agit de dresser un état des lieux, une politique des positions intimes telles que l’époque les détermine. »
Quelles sont vos intentions de mise en scène, vos choix scénographiques ?
D.P. : Après Un Eté à Osage County, pièce créée à Bonlieu Scène Nationale d’Annecy où je suis artiste associé et présentée aux Gémeaux en 2014, Linda Vista est une étape de plus dans ce relevé de l’Amérique contemporaine. Linda Vista est à la fois un portrait et un paysage. Portrait d’un homme, paysage d’une époque. L’un décalé par rapport à l’autre. L’homme n’a pas vu le paysage changer. Il n’a pas vu qu’il avait changé lui-même. Et encore moins que sur certains points, il aurait dû changer. Wheeler est présent en scène absolument tout le temps, et l’interpréter est une vraie performance d’acteur. La mise en scène induit aussi un défi scénographique. Les décors coulent autour du protagoniste, lequel, sans s’en apercevoir, est resté en quelque sorte enfermé dans sa chambre noire. Un comble pour un photographe… Wheeler est comme une pellicule impressionnée qui ne serait jamais passée au laboratoire. Les situations et les décors successifs sont en quelque sorte des bains dans lesquels Wheeler va tremper et se révéler.
Diriez-vous que A Love Suprême, pièce écrite par Xavier Durringer pour Nadia Fabrizio, seule en scène, est de la même veine ?
D.P. : Xavier Durringer est un ami. Dans A Love suprême, Nadia incarne une sorte de pendant féminin de Wheeler. Alors oui, il n’est pas interdit de voir là une sorte de diptyque, avec des symétries frappantes. D’un côté, la femme, l’Europe, un plan fixe dans un lavomatic. Dans ce cadre, un être qui flotte, bouge, rêve, se raconte. Et qui assume, qui revendique ce qu’elle a accompli. De l’autre côté, l’homme, le nouveau monde, des plans et des focales qui ne cessent de varier. Et dans ce flux, un être qui reste en scène et semble tout faire pour ne pas se retourner sur son parcours. De part et d’autre, il y a une exigence, je dirais presque une pureté : une demande de beauté, de sens, une ambition. Sans mélo. Il s’agit de dresser un état des lieux, une politique des positions intimes telles que l’époque les détermine. Comme disait Spinoza : ni rire, ni déplorer, ni haïr, mais comprendre. Peut-être aider à faire comprendre par la voie du théâtre, à travers l’économie des passions.
Propos recueillis par Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens
A propos de l'événement
Linda Vista et A Love Suprême de Dominique PitoisetThéâtre Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux
49, avenue Georges Clemenceau, 92 330 Sceaux.
Linda Vista, du 14 novembre au 1er décembre 2019. Première en Ile-de-France.
A love suprême, du 15 au 19 janvier 2020.
Spectacles du mardi au samedi à 20h45, le dimanche à 17h.
Tél : 01 46 61 36 67.