Abdelwaheb Sefsaf veut ouvrir de nouveaux sentiers de création

Quelle est votre ambition pour ce festival de création pour l’enfance et la jeunesse, projet central du CDN de Sartrouville ?

Abdelwaheb Sefsaf : Je souhaite renouer avec l’ADN de cette biennale, qui est d’imaginer un théâtre jeune public qui explore de nouveaux sentiers. À sa création en 1997, le festival avait fait appel à des artistes qui ne créaient pas spécifiquement pour le jeune public – tels Olivier Py, Stanislas Nordey et d’autres –, permettant de construire la renommée du festival et d’ouvrir des perspectives de création inédites. Nous sommes ainsi les héritiers d’un festival qui a été porté très haut, qui a œuvré à la réinvention de la création jeune public. S’il s’intitule Odyssées, c’est pour signifier l’ouverture sur le monde ainsi qu’une infinité d’explorations possibles : deux notions fondamentales que je défends dans notre adresse à la jeunesse. Le festival est attaché à la pluridisciplinarité. Dans ma compagnie les projets se créent à la confluence de plusieurs disciplines, unissant notamment théâtre et musique. Et dans le sillage de mon projet général pour le théâtre, il m’importe également d’intégrer des récits qui proposent une représentation théâtrale à l’image du public, c’est-à-dire nourrie de diversité. S’ils ne sont pas tous des Français d’hier, les spectateurs et spectatrices de Sartrouville et des Yvelines sont tous des Français de demain, bâtissant une culture commune enrichie par les apports d’identités plurielles, mouvantes.

« Si le Festival s’intitule Odyssées, c’est pour signifier l’ouverture sur le monde. »

Vous présentez à l’occasion du festival Malik le magnifik, l’une des six créations d’Odyssées. Qui est Malik ? 

A.S. : Cette création est inspirée par l’histoire de Malik Richeux, musicien multi-instrumentiste, cofondateur du groupe Latcho Drom, collaborateur qui m’est très cher. Né sous X dans le bidonville de Nanterre, il a été adopté par une famille d’enseignants de Bretagne. Son violon l’a amené à explorer des horizons musicaux très orientaux, alors que ses parents ne lui ont pas transmis cette culture. Il a utilisé son violon comme un outil d’exploration du vide, recherchant son identité à travers son instrument. À partir de cette histoire qui m’a fasciné, j’ai imaginé un conte dans lequel Malik est adopté par une famille de pêcheurs sur l’île d’Ouessant. À un moment il pêche un violon, et au fur et à mesure qu’il apprend à en jouer, il remonte le chemin de son identité. C’est une manière pour moi de dire que l’identité, ce n’est pas seulement un héritage, c’est surtout ce qu’on en fait. Nous pouvons être les enfants des gens qu’on rencontre et des lectures qui nous bercent. Nous pouvons déterminer une partie de notre identité à travers nos choix. Parce que nous nous adressons à des enfants, je voulais que le message soit positif. Malik est aujourd’hui quelqu’un de très épanoui. Le violon a constitué une thérapie, l’a aidé à se construire. Le violon l’a révélé à lui-même et l’a révélé aux autres.

Créer pour le jeune public, qu’est-ce que cela implique pour vous ?

A.S. : Contrairement aux adultes, les enfants n’ont pas encore développé leur sens critique. Créer pour eux implique selon moi davantage de responsabilité, car les mots ont plus de charge. Il est en conséquence plus important de ne pas se tromper, même s’il s’agit aussi de préserver une forme de hardiesse dans la démarche créative. S’adresser à des enfants de 8 ans, c’est aussi pour moi s’adresser aux adultes qu’ils vont devenir. C’est peut-être paradoxal, mais c’est ainsi que je vois les choses. Je retrouve cette vertu dans les projets de Joël Pommerat, qui émerveillent les enfants autant que les adultes grâce à la finesse de l’écriture, à la profondeur de la mise en scène, aux sentiments réels qui habitent l’histoire.  Cumulant environ 200 représentations, les petites formes d’Odyssées circulent dans tout le département des Yvelines, dans des bibliothèques, établissements scolaires et autres lieux non équipés. Le Festival rassemble de nouveaux publics et relie les générations.

Propos recueillis par Agnès Santi