La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique /Reprise

Et le cœur fume encore de Alice Carré et Margaux Eskenazi, mise en scène de Margaux Eskenazi

Et le cœur fume encore de Alice Carré et Margaux Eskenazi, mise en scène de Margaux Eskenazi - Critique sortie Théâtre saint denis TGP Théâtre Gérard Philipe - CDN de Saint-Denis

Théâtre Gérard Philipe / de Alice Carré et Margaux Eskenazi / mes Margaux Eskenazi

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Spectacle remarquable sur la Guerre d’Algérie, tentative d’en délivrer enfin des récits, Et le cœur fume encore  déploie un théâtre aussi intelligent que joyeux.

Que la France ait un problème avec la mémoire de la Guerre d’Algérie ne fait pas débat. On dit souvent qu’une part du racisme anti-maghrébin qui traverse le pays et que certaines difficultés d’intégration des populations d’origine nord-africaine plongent leurs racines dans ce passé mal digéré. Le théâtre explore ce terrain avec des bonheurs différents. Des ratés parfois sur ce thème délicat. Et le sentiment ailleurs que le théâtre déploie de manière remarquable la complexité du sujet. Ici, c’est le cas. Et le cœur fume encore, spectacle phare du Off d’Avignon en 2019, est maintenant à nouveau propulsé sur les planches d’un CDN. Il le mérite grandement. Le TGP a en effet la bonne idée de reprendre cet opus imaginé par Margaux Eskenazi et Alice Carré de la Compagnie Nova, autrices et conceptrices du spectacle, interprété par une troupe de jeunes comédiens – Armelle Abibou, Loup Balthazar, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphael Naasz, Christophe Ntakabanyura et Eva Rami – dont la diversité se mélange joyeusement au plateau, sans distinction de sexe ni d’origine, pour incarner femmes et hommes d’hier et d’aujourd’hui, venus des deux rives de la Méditerranée.

Au croisement des arts et de la politique

Et le cœur fume encore tient son titre d’une phrase de Kateb Yacine, célèbre écrivain algérien convoqué à plusieurs reprises dans le spectacle. Car ce retour sur la Guerre d’Algérie s’opère  à travers le croisement des arts et de la politique. De la représentation d’une pièce de Yacine en 1958 à Bruxelles, on suit les premiers pas d’un membre du FLN. Du procès en 1961 de Jérôme Lindon, non moins célèbre fondateur des Éditions de Minuit, on revisite le débat sur la torture et la désobéissance soulevé par la publication du Déserteur. De La bataille d’Alger, film de l’Italien Pontecorvo, sorti en 1965 et quasi interdit en France jusqu’en 2004, on retraverse la trahison des espoirs nés de l’indépendance. Ces détours par les arts ne constituent pas des coquetteries. Ils disent le rôle que peuvent jouer les artistes dans l’histoire de nos sociétés, celui que veut jouer cette pièce aujourd’hui. Et ils n’empêchent pas de passer par le football, Zidane et Thuram, la Marseillaise sifflée au Stade de France, pour penser toutes ces tensions qui agitent la France. En leur cœur, qui fume encore : le silence, les souffrances qui ne se disent pas, les points de vue qui ne dialoguent pas. Ce couvercle posé sur des paroles multiples, contradictoires, complémentaires, que toute la troupe est allée chercher dans un processus documentaire, qu’elle relaie sur le plateau en une  succession de scènes de plus en plus jubilatoires, subtilement disposées, magnifiquement interprétées, qui réveillent l’espoir d’un avenir enfin réconcilié avec le passé.

 Eric Demey

Spectacle vu au Théâtre Gérard Philipe en novembre 2019

A propos de l'événement

Et le cœur fume encore
du mercredi 30 septembre 2020 au dimanche 11 octobre 2020
TGP Théâtre Gérard Philipe - CDN de Saint-Denis
59 bd Jules Guesde, 93200 Saint-Denis

du mardi au samedi à 20h sauf dimanche à 15h30, relâche le lundi. Tél. : 01 48 13 70 00. Durée : 2h.

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