La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Farm Fatale par Philippe Quesne

Farm Fatale par Philippe Quesne - Critique sortie Théâtre Paris Centre Pompidou
© Martin Argyroglo Farm fatale

Centre Pompidou / conception, scénographie et mise en scène Philippe Quesne

Publié le 8 septembre 2020 - N° 286

Avec cette fable écologique parfaitement orchestrée, aussi limpide que les histoires d’enfance, Philippe Quesne alerte sur la disparition du vivant. Surtout, il inscrit sa démarche dans cet espace paradoxal et émouvant entre constat mélancolique et énergie combative.

Un espace nu comme une page blanche, habité par une petite communauté d’épouvantails cabossés, déplorant la fin programmée du monde, et pourtant œuvrant contre la disparition du vivant. A la fois charmante dans ses effets et effarante par les catastrophes évoquées, la fable ne renonce pas à envisager le futur. Et c’est justement cet ancrage paradoxal, si humain, si fragile, qui détermine tout l’attrait de ce périple limpide, simple et précaire, pas si naïf que ça, et pas non plus nihiliste. Masqués, dépenaillés, plutôt lents, maladroits et mélancoliques, les épouvantails constatent les dégâts mais ne s’avouent pas vaincus. Sorte de clowns activistes, ils visent à archiver sur cassettes les sons de la nature, et c’est pourquoi sur le plateau immaculé, des bottes de paille, râteaux et fourches se mêlent aux micros, câbles et antennes. Ils animent ainsi une radio pirate alertant sur les dérives de ce « brave new world », plus attaché à la rentabilité de l’agriculture intensive qu’à la préservation de la nature et de la santé de ses habitants.

To bee or not to bee

Agençant parfaitement les éléments scéniques qui structurent le spectacle, Philippe Quesne évite l’écueil du didactisme, même s’il évoque la vaste question des moyens et de la militance. « There is no planet B ! » « Go green before green goes ! » Les slogans émergent en écho à une actualité largement relayée dans les médias mais finalement peu suivie de décisions politiques fortes. A l’instar de la scénographie, les mots aussi se font économes, tout nets et tout simples. Au cœur de l’espace abandonné, où le pépiement des oiseaux n’est plus qu’un souvenir ravivé par une bande enregistrée, le metteur en scène parvient à insuffler une certaine poésie, ainsi qu’une certaine ambition collective, qui s’affirme en particulier lorsque les épouvantails jouent en direct de la musique. « Stand by me ! », clament-ils de leurs voix éraillées et déformées. Certes grotesques, ils se révèlent aussi sincères et touchants dans leur volonté de transmission, alors que le futur s’immisce dans le présent sous la forme de gros œufs étranges à couver de leur attention. De scarecrows à carecrows, une lettre tombe et une philosophie du soin, peut-être rêvée, se dessine… En compagnie de trois acteurs de la troupe munichoise du Kammerspiele et de deux complices fidèles – Stefan Merki, Damian Rebgetz, Julia Riedler, Léo Gobin et Gaëtan Vourc’h – Philippe Quesne allie de façon manifeste esthétique et quête de sens – voire appel à agir. « To bee or not to bee » : la question urgente est traitée avec une réjouissante et percutante inventivité.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Farm Fatale par Philippe Quesne
du jeudi 1 octobre 2020 au dimanche 4 octobre 2020
Centre Pompidou


Du 1er au 3 octobre à 20h30, le 4 à 17h. Tél : 01 44 78 12 33. Site : www.centrepompidou.fr Durée : 1h30. Spectacle vu à Nanterre-Amandiers en mars 2019.

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