La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Entretien Matéi Visniec

Entretien Matéi Visniec - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2008

Un théâtre libre, lucide, à l’écoute du monde

Matéi Visniec a quitté la Roumanie en 1987, où ses pièces étaient interdites de création, et a alors demandé l’asile politique à la France. Il connaît donc autant la force de résistance et de liberté de la littérature que la fragilité des hommes. En France, ses pièces à la fois lucides et empreintes de grotesque sont souvent montées. Le Ciné 13 Théâtre propose un mini festival Visniec à ne pas manquer avec trois pièces et trois metteurs en scène différents : David Sztulman, Salomé Lelouch et Jean-Luc Paliès.

Vous avez connu la Roumanie socialiste. Richard III n’aura pas lieu parle de l’impossible liberté de l’artiste dans un régime totalitaire, avec comme metteur en scène Meyerhold et comme dirigeant politique Staline. Sous quel angle abordez-vous la relation du metteur en scène au pouvoir ? Utilisez-vous le grotesque et l’humour pour dénoncer la cruauté de la dictature ?
Oui, le rire était, à l’époque des "démocraties populaires" une forme de résistance et de liberté. Comme la littérature, d’ailleurs, surtout une certaine littérature à clef qui utilisait pleinement la force de frappe de la métaphore et de la poésie.   Mais j’ai voulu parler, à travers mon personnage, Vsevolod Meyerhold, surtout de la censure et de l’auto-censure, de la confrontation entre l’artiste et le pouvoir, mais aussi de la mécanique de la peur et du lavage des cerveaux. Ce sont des choses difficiles à raconter. Par cette pièce, j’invite en quelque sorte le spectateur dans les coulisses de l’horreur, comme témoin, mais aussi comme potentielle victime. J’ai voulu que les spectateurs puissent se dire : "ça aurait pu être mon cas, qu’est-ce j’aurais fait dans cette situation ?" J’ai voulu aussi que les spectateurs ressentent une certaine émotion devant ces destins brisés, et aussi devant l’utopie brisée. D’ailleurs, de plus en plus je me rends compte que j’écris pour transmettre un message, certes, pour transmettre une information, mais c’est l’émotion qui doit transporter ce message, c’est l’émotion qui doit porter le message au spectateur. Au théâtre, un message qui n’est pas porté par une émotion forte ne va pas très loin, échoue devant le cœur du spectateur. Un message qui n’est pas doublé d’une émotion artistique est vite oublié. C’est l’émotion qui est inoubliable et qui fait remuer ensuite les cerveaux. Cette pièce est aussi une réflexion autour de la force du théâtre. Pourquoi les régimes totalitaires ont plus peur d’un spectacle de théâtre (même à message censuré et ambigu) que d’un roman contestataire ? C’est parce qu’un roman, on le lit dans sa solitude tandis qu’un spectacle, c’est quelque chose qui se passe en public, c’est un objet potentiellement dangereux, c’est une chose jouée par des gens vivants devant d’autres gens vivants. Or, l’émotion collective peut être l’embryon de la révolte. 
 
« Au théâtre, un message qui n’est pas porté par une émotion forte ne va pas très loin, échoue devant le cœur du spectateur. »
Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux considère aussi dans un autre contexte le poids de l’Histoire, et aborde le thème de la conscience européenne après les guerres et les douleurs, et la façon dont les blessures du passé se font toujours sentir. Que dit la pièce sur ce thème, à travers quels personnages et quelle langue ?
J’ai voulu imaginer une histoire où les morts et les vivants se parlent après l’horreur. Et aussi, j’ai voulu parler de cette Europe que nous sommes en train de construire sur plusieurs couches de morts. Si on creuse un peu dans cette terre qui a engendré autant de violence, on trouve d’abord les morts des dernières guerres nationalistes, ensuite les morts de la répression du temps du communisme, ensuite les morts de la deuxième guerre mondiale et de l’extermination nazie, ensuite les morts de la première guerre mondiale, ensuite les morts des guerres d’indépendance, ensuite les morts des guerres napoléoniennes, ensuite les morts de la guerre de 30 ans, de la guerre de 7 ans, de la guerre de 100 ans… Des dizaines et des dizaines de couches de morts sont "perceptibles" sous les fondations de l’Europe. Mais plus précisément, ma pièce parle d’une seule famille, une mère et un père qui rentrent chez eux après une "guerre récente" et qui ne veulent qu’enterrer proprement leur fils tombé au combat. Tout d’abord il faut retrouver des traces dans les charniers disséminés partout, et leur combat pour trouver au moins une botte ou une chemise de leur fils disparu, pour qu’ils puissent avoir ainsi une tombe et envisager le deuil, s’annonce difficile. Cette pièce de théâtre se veut un miroir lucide posé devant notre conscience européenne encore pleine de cicatrices, un avertissement que la sortie du tunnel est encore loin.
Quelle histoire d’amour raconte L’histoire des ours pandas ?  
 
C’est sûrement l’histoire universelle de l’amour… mais décantée par une situation poétique et un peu particulière. Ecrire sur l’amour, c’est d’abord maîtriser l’exercice de l’ambiguïté. Ecrire sur l’amour c’est aussi le courage de rêver. Dans ma pièce, deux personnages ont neuf nuits pour se connaître. Pour remplir le vide d’une vie ? Pour comprendre l’essentiel ? J’invite les spectateurs à découvrir la réponse. Et de voir comment ELLE va apprendre grâce à LUI à saisir à travers les murs de la chambre la musique de ce monde. Tandis que LUI va apprendre, grâce à ELLE (apparition imprévue chargée de mystère), à se passer du langage articulé. Ecrire sur l’amour c’est aussi franchir un certain nombre de frontières intérieures et d’autres qui séparent le réel du fantastique. Il y a une scène dans la pièce où le saxophoniste reçoit un cadeau étrange pour son anniversaire : un oiseau invisible qui semble répondre à la définition de l’être. Et elle, le personnage féminin qui est peut-être en même temps la Femme, la Mort et le Destin, lui promet de lui rendre visite dans une autre vie… Ecrire sur l’amour c’est aussi un jeu avec le temps. On sait quand le jeu commence. On veut qu’il dure toujours et qu’il ne se termine jamais. C’est le jeu d’une rencontre entre toujours et jamais.

Propos recueillis par Agnès Santi


Richard III n’aura pas lieu de Matéi Visniec, mise en scène David Sztulman du 1er octobre au 1er novembre, du mercredi au samedi à 21h30, les 3 et 25 octobre à 19h30, les dimanches à 16h, L’histoire des ours pandas de Matéi Visniec, mise en scène Salomé Lelouch, les 8,9,11,17,23,24 octobre et le 1er novembre à 20h, le 25 octobre à 21h30, Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux de Matéi Visniec, mise en scène Jean-Luc Paliès, les 2,4,16,18,30,31 octobre à 19h30 et le 3 novembre à 21h30, au Ciné 13 Théâtre, 1 av Junot, 75018 Paris. Tél : 01 42 54 15 12. A voir aussi du même auteur L’histoire du communisme racontée aux enfants mise en scène Cendre Chassanne, du 12 au 23 novembre à 20H30, jeudi à 19h30, dimanche à 16h, relâche les 17 et 18 novembre, au Théâtre Jean Arp à Clamart. Tél : 01 41 90 17 02.

A propos de l'événement


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