La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2012 - Entretien Romeo Castellucci

Entre l’image et son refus

Entre l’image et son refus - Critique sortie Avignon / 2012

Publié le 10 juillet 2012 - N° 200

Romeo Castellucci et la Socìetas Raffaello Sanzio présentent The Four Seasons Restaurant : Mark Rothko pour le titre, Le Voile noir du pasteur, d’Hawthorne, pour l’intrigue, et la question de l’image pour thème essentiel.

« L’artiste rajoute des problèmes au lieu de les résoudre. »
 
Pourquoi ce titre ?
Romeo Castellucci : Il s’agit d’interroger encore une fois le rapport entre la disparition et l’apparence d’une image. Le titre fait référence au nom du restaurant où le peintre américain Mark Rothko a refusé d’accrocher les grands tableaux qu’il devait y exposer, considérant que c’était un lieu trop bourgeois. Ces tableaux sont désormais exposés à la Modern Tate à Londres, dans une salle dédiée au peintre. Ce titre est un prétexte. Il ne s’agit pas d’un spectacle sur Rothko, mais il s’agit, par ce titre, d’évoquer l’artiste qui se cache, se retire, se refuse, et d’interroger le rapport entre l’image et sa propre négativité, sa fuite, son refus.
 
Comment avez-vous composé ce spectacle ?
R. C. : D’abord avec une partie théâtrale, composée d’un texte et d’un dispositif traditionnel ; ensuite avec une autre partie, abstraite, où on assiste à un éclatement de l’image, du sens et du langage. La présence de Rothko n’est pas directe, mais demeure comme un fond énigmatique, par l’intermédiaire du titre. Je voulais prendre des distances avec des choses trop déclarées. Le restaurant est le lieu de la nourriture ; il est en rapport avec la faim, le plein et le vide. Ce restaurant vide, c’est-à-dire vidé de la peinture de Rothko, est comme une forme d’appel. Il y a quelque chose d’ironique dans tout cela : une ironie au sens philosophique, profond, socratique.
 
Pourquoi avoir choisi l’histoire du Voile noir du pasteur, d’Hawthorne ?
R. C. : Avec Hawthorne, s’impose à moi un travail en continu. Le sujet de cette nouvelle est un sujet important et un thème infini, auquel je veux dédier tout un cycle de production. Ce n’est pas seulement un sujet possible pour un spectacle, mais un fleuve d’inspiration fondamental. Notre époque vit dans un continuum d’images qui l’afflige comme une maladie : nous ne sommes plus capables, dans ce flot, de choisir la bonne image. Or, cacher l’image, c’est la subvertir. Se retirer de l’image permet une autre forme de connaissance, une autre forme d’interprétation. Le Voile du pasteur s’adresse à notre possibilité de nous cacher, de nous retirer, de préférer le silence, le noir. C’est alors le manque qui devient la super image, la super icône, existant davantage que toutes les autres. Le voile noir que le pasteur place sur son visage n’est pas un masque, c’est plutôt un trou, un manque et la marque d’une connaissance plus profonde. Ce manque est une partie fondamentale de l’art. Le pasteur est en ce sens un artiste, un Mark Rothko, un Empédocle qui choisit la disparition pour le salut. Il ne s’agit pas simplement d’échapper au monde et aux images, mais de proposer une autre interprétation politique de la condition humaine, selon une modalité proche de celle du Bartleby de Melville : « I would prefer not to ». L’art est le domaine où il est possible de penser cette manière nouvelle : certains choix d’artistes résonnent comme des prophéties.
 
Dans quelle mesure s’agit-il là d’une posture politique ?
R. C. : Le théâtre est toujours politique puisqu’il pose toujours la question de notre être parmi les hommes. Si le théâtre est vraiment du théâtre et pas seulement un spectacle, il est politique, même si ce n’est pas immédiatement visible. « Il ne faut pas faire des films politiques, il faut faire des films politiquement. » disait Jean-Luc Godard. Il ne s’agit pas d’asséner un discours politique direct. Il ne s’agit pas de faire de la pédagogie. Il s’agit de croire dans le rôle politique du spectateur. Pour cela, et même si cela paraît paradoxal, il faut l’abandonner, c’est-à-dire croire à l’intelligence et à la responsabilité du spectateur, poser des problèmes et non pas des solutions. C’est ça la politique : jeter au milieu de la communauté un problème. Mon devoir à moi n’est pas de résoudre ce problème. L’artiste rajoute des problèmes au lieu de les résoudre : c’est là le grand cadeau qu’il peut faire aux autres. Il y a certainement, dans ce spectacle, un aspect qui n’est pas dit, pas terminé, un petit collapse à travers lequel chaque spectateur trouve sa place. Le mouchoir noir du voile du pasteur, c’est la place pour l’autre, la question posée à l’autre : on découvre toujours la puissance du visage comme un miroir, et on retrouve son visage sur le visage de l’autre.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Festival d’Avignon. Gymnase Aubanel. Du 17 au 25 juillet 2012, à 18h ; relâche le 19. Tél : 04 90 14 14 14. Durée estimée : 1h.

A propos de l'événement


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