La Terrasse

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Théâtre - Critique

En ce temps-là, l’amour…de Gilles Ségal mis en scène par Pierre-Yves Desmonceaux

En ce temps-là, l’amour…de Gilles Ségal mis en scène par Pierre-Yves Desmonceaux - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de l'Essaion
Pierre-Yves Desmonceaux dans En ce temps-là, l’amour… Crédit photo : Eric Blaise

de Gilles Ségal / mes Pierre-Yves Desmonceaux

Publié le 19 décembre 2014 - N° 272

Pierre-Yves Desmonceaux met en scène et interprète le monologue écrit par Gilles Ségal. Son intelligence des enjeux philosophiques et humains de ce texte poignant est éblouissante.

Pour éprouver son obéissance, Dieu ordonne à Abraham de sacrifier Isaac. Un ange arrête de justesse sa main ; un bélier remplace l’enfant. Mais, dans le wagon plombé où le narrateur du texte de Gilles Ségal rencontre le père et le fils dont il raconte les derniers jours, il n’y a pas d’ange pour arrêter la mort… Geste d’amour ou geste de folie ? Le narrateur ne juge pas, sinon en affirmant qu’« en ce temps-là, l’amour était de chasser ses enfants ». Lui l’avait su à temps : c’est pour cela que son fils est toujours vivant et qu’il peut lui raconter, dans un testament en forme de mémorial, les derniers jours de l’infanticide et de son petit. Encouragé par les photos de son arrière-petit-fils reçues d’Amérique, taraudé par l’imminence du dernier départ (la valise à ses pieds a été préparée pour l’hôpital, où l’attend une opération sans doute fatale), le narrateur raconte l’histoire de cet homme qui, le premier jour, demande à son fils s’il a fait ses devoirs, lui explique ensuite, de jour en jour, ce qu’un homme accompli doit savoir, organise, le sixième jour, le mariage de son garçon au milieu des mourants, avant d’aider le petit, finalement, à échapper aux bourreaux grâce à une pastille de cyanure.

Evidence du talent

« En ce temps-là, l’amour était-ce tuer son enfant ? » Le clown éperdu préféra s’accrocher à Spinoza plutôt que de se complaire dans l’ordure du cloaque infernal qui conduisait les Juifs aux chambres à gaz. L’homme offre à son fils, en six jours, le temps d’arriver en Pologne, un accéléré des leçons qu’il lui aurait sans doute prodiguées patiemment, si le temps lui avait laissé celui d’être père. Le narrateur est perplexe d’abord, admiratif ensuite. La leçon de choses est leçon de vie. L’amour de celui qui écoute pour celui qui enseigne est aussi grand que celui du père qui veut croire aux forces de l’esprit en pleine déréliction. L’humour et le suicide demeurent au condamné comme ultimes preuves de sa liberté. Telles sont les armes de ce malheureux, qui sauve l’humanité en refusant d’abdiquer la sienne. Pierre-Yves Desmonceaux réussit le tour de force d’incarner les différentes figures du récit par une interprétation protéiforme absolument époustouflante. Aucune grandiloquence dans l’adresse, aucune affèterie dans le jeu, aucun pathos : l’économie est totale, l’effet est saisissant. Chaque mot est pesé, chaque phrase est nécessaire, dans la bouche du comédien comme dans celle de son personnage. Pierre-Yves Desmonceaux ne prend pas le spectateur en otage. Il se tient à l’écart de l’émotion manipulatrice. Il se tient droit, vrai, évident, sincère. Un exceptionnel moment de théâtre !

Catherine Robert

A propos de l'événement

En ce temps-là, l’amour…
du lundi 14 janvier 2019 au mardi 2 avril 2019
Théâtre de l'Essaion
6 Rue Pierre au Lard, 75004 Paris

Du 14 janvier au 2 avril 2019, Les lundis et mardis à 19h45. Durée : 1h.

Rens : 01 42 78 46 42

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