Le Sorelle Macaluso
Théâtre du Rond-Point / texte et mes Emma Dante
Publié le 2 janvier 2015 - N° 228L’auteure et metteuse en scène sicilienne Emma Dante fouille le cœur de sa Sicile natale. Elle en tire une histoire familiale poignante qui palpite entre tragique et grotesque.
Une silhouette sombre perce la pénombre, vacille aux lisières d’une lueur incertaine, tourne et tourbillonne. Tombe et recommence. Une femme danse, infiniment, comme pour épuiser les gestes trop longtemps retenus, défaire dans l’élan du mouvement les nœuds qui ligotaient ses chairs. Elle danse parmi les ombres, entre les vivants et les autres, les disparus… Jusqu’à ce qu’une petite troupe entre au pas militaire et entame une bataille enfantine à coups d’épées et de boucliers de fer blanc, reprenant les figures populaires des marionnettes siciliennes de l’Opera dei Pupi. Porté par l’ardeur joyeuse du jeu, le cortège funèbre peu à peu se transforme et les austères costumes noirs dévoilent des robes colorées. Et bientôt, voilà que les sept sœurs Macaluso revivent, qu’elles chahutent leurs souvenirs d’enfance, que les défunts viennent frapper au seuil du présent. Filles d’un veuf misérable, qui vivote du maigre emploi de déboucheur de chiottes, elles rejouent sans cesse la scène traumatique qui mine la famille, se cramponnent ensemble à leur misère, s’agrippent les unes aux autres, liées pour toujours dans l’amour ou la haine, dans la joie et la disgrâce, dans la vie comme dans la mort.
Saga familiale
Le Sorelle Macaluso, pièce présentée au Festival d’Avignon 2014, condense ce qui fait la puissance du théâtre d’Emma Dante. L’auteur et metteuse en scène sicilienne taille sa matière dans le quotidien de sa terre natale sans pour autant calquer son trait sur le plan réaliste. Elle montre la vérité sociale de ce prolétariat, l’enfermement communautaire, l’impossible libération de femmes lestées par le passé, la religion et la tradition. Colères, rancœurs, douleurs et rivalités coulent sous la gaîté et rongent les sœurs en silence. Le théâtre ici surgit à même le plateau nu, cogne le tragique et le grotesque, fouille au creux des blessures intimes et enchâsse le réel et le rêve en une poétique simple et saisissante. Sur scène, les comédiens écartent tout pathos par leur vivacité. L’engagement et la crudité des corps, jamais calibrés, la langue aussi, brute, éraillée de gouaille, laissent affleurer les entailles encore rougeâtres et les gerçures de l’existence. C’est cette poignante humanité-là qui touche en plein cœur.
Gwénola David
A propos de l'événement
Le Sorelle Macalusodu mercredi 14 janvier 2015 au dimanche 25 janvier 2015
Théâtre du Rond Point
2 Avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris, France
A 21h, relâche les lundis et le 18 janvier 2015. Tél. : 01 44 95 98 21. En dialecte palermitain surtitré. Durée : 1h10. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2014.