Edouard II
La qualité et la maîtrise du jeu théâtral conçu par Cédric Gourmelon équilibrent en finesse comique et tragique et actualisent la naïveté à la fois insolente et touchante de la pièce élisabéthaine de Christopher Marlowe.
Une sorte d’auto-dérision qui résonne dans notre époque
Les personnages sont moins complexes et profonds que chez Shakespeare, l’intrigue est un peu boiteuse, mais le metteur en scène transcende ces faiblesses par la qualité et la maîtrise du jeu théâtral, qui justement n’hésite pas à mettre en lumière et exploiter la naïveté à la fois insolente et touchante de la pièce. Le jeu des comédiens et la mise en scène laissent voir une sorte d’auto-dérision très drôle qui résonne complètement dans notre époque, et l’interprétation du roi, personnage central et omniprésent, oscille avec un parfait équilibre entre incarnation et subtile distanciation. La pièce évite ainsi la bouffonnerie et la grandiloquence qui auraient affaibli le propos, et parvient à combiner en finesse le comique plutôt sulfureux et subversif, lié à l’irrépressible force de l’amour du roi homosexuel, et le tragique de ce roi que l’on sait condamné tant il est inadapté à sa fonction. Régulièrement les personnages s’avancent et font face au public, dans une solennité théâtrale qui permet de mettre les enjeux humains et politiques au cœur de la représentation. Au fil de la progression de l’intrigue, la pièce évolue d’une tragi-comédie à une réelle tragédie où la douleur et le martyr du roi lui confèrent une dimension suprême. La naïveté et la légèreté cèdent la place à la lucidité et la souffrance, et à une solitude absolue face à la mort. La remarquable conception des lumières, des costumes et de la scénographie concourt à faire de cette mise en scène une très belle réussite, où le plateau, simplement habité de quelques accessoires et parfois de musiques actuelles (Klaus Nomi…), devient, grâce à une direction d’acteurs précise et rigoureuse, une zone de tension riche de sens.
Agnès Santi
Edouard II de Christopher Marlowe, traduction André Markowicz, mise en scène, scénographie et lumière Cédric Gourmelon, du 5 au 31 janvier du lundi au samedi à 19h30, dimanche à 15h30, relâche le jeudi, au Théâtre Paris-Villette, 75019 Paris. Tél : 01 40 03 72 23. Spectacle vu au théâtre de Brétigny-sur-Orge.