La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien

Ea Sola

Ea Sola - Critique sortie Danse
Crédit portrait : Cie Ea Sola Légende : Ea Sola reprend Sécheresse et pluie

Publié le 10 avril 2012 - N° 197

Sécheresse et pluie, ou la réactivation d’un processus

Dix-sept ans après la création de Sécheresse et pluie, Ea Sola continue d’interroger son processus à travers une nouvelle version.

Sécheresse et pluie relevait, en 1995, d’un travail sur la mémoire de la guerre. Pourtant, en choisissant de réactiver ce travail dans un « Volume 2 » avec les danseurs de l’Opéra de Hanoi, et aujourd’hui à travers une recréation avec d’autres femmes, inscrivez-vous cette démarche dans un questionnement sur la mémoire de la danse?

Ea Sola : L’idée de répertoire est importante. Lorsque l’œuvre traverse le temps, elle nous démontre combien l’Art nous a influencés, changés. Combien il façonne la société. Ce médium profond, résistant, transforme notre mentalité. Poésie, beauté, mystère… Sans ces textures notre humanité serait handicapée. Cependant, plus que par le territoire artistique, j’étais plutôt happée par un travail sur la conscience, pour comprendre : pourquoi l’Homme tue l’homme ? Trouver la cause de cet effet. Et j’ai été subjuguée par ces personnages avec qui je travaillais, qui avaient traversé la guerre, qui étaient pour moi ces anonymes que je croisais sous les bombes durant mon enfance au Vietnam.

Revenant à cette pièce, est-ce que j’inscris un répertoire ? Je ne le pense pas. J’ai plutôt inscrit un processus à mon travail sur la mémoire de la guerre, qui m’a emportée vers une autre Mémoire, pour m’éloigner de celle qui se lie au souvenir. Vers l’ailleurs, à nos origines. Cette mémoire est plus troublante, plus dérangeante. Tout au long de mon parcours, j’ai travaillé sur la mémoire de la guerre. Avec Sécheresse et Pluie 1995, Sécheresse et Pluie Vol.2, ou Sécheresse et Pluie 2011, j’ai gardé pour ces trois pièces la même structure scénique et chorégraphique, ainsi que le titre. Et j’ai tenu compte de la singularité de l’interprète et de son histoire. Les questions sur la danse n’ont pas été mon propos.

Vous faites appel aujourd’hui à un nouveau groupe de femmes. Dans quelles direction avez-vous cherché, expérimenté, avec elles, selon leur rapport très différent avec la guerre ?

E. S. : Je désirais que nous cessions d’avoir un rapport à la guerre. Comment peut-on établir un rapport avec ce que nous ne voulons pas ? Ce qui détruit, et jamais n’a construit. Comme je vous le disais, je tiens compte de la singularité et de l’histoire de l’interprète. Les dames de Sécheresse et Pluie 2011 n’ont pas tenu de fusil pour défendre leur région, mais elles ont été au front. Elles ont chanté pour consoler le soldat, et réconforter la personne blessée. À partir de là, tout est différent. Le sens est apparu doux, profond, d’une amitié chaleureuse.

Le spectacle prend corps aujourd’hui dans un autre contexte. Comment pose-t-il un regard sur le monde actuel ? Reflète-t-il votre désir aujourd’hui de dire autre chose, autrement, sur la guerre ? 

E. S. : Pour moi, ce contexte que vous citez comme étant d’aujourd’hui était déjà là. Mon travail a été placé dès le départ à travers une conscience du déplacement, de la mixité, de la pauvreté, d’un monde global. Aujourd’hui, mon désir d’oser prendre dans ses bras un inconnu, une personne âgée, un être vivant, c’est de mettre en avant l’essentiel. Qui rendrait aux lèvres son sourire. Et au corps ses sentiments. Pour dire non à la guerre, à cette mémoire de l’obscurité qui nous façonne encore.

Propos recueillis par Nathalie Yokel


Sécheresse et pluie d’Ea Sola, le 12 avril à 19h30, et le 13 à 20h30, à La Coupole, scène nationale de Sénart, rue Jean-François Millet, 77385 Combs-la-Ville. Tel : 01 60 34 53 60.

A propos de l'événement


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