« Don Quichotte » dans la mise en scène de Damiano Michieletto : réel domestique et évasion imaginaire
CRITIQUE / OPERA NATIONAL DE PARIS / OPERA BASTILLE
Publié le 13 mai 2024 - N° 321L’Opéra de Paris présente une nouvelle production de Don Quichotte de Massenet, dans laquelle Damiano Michieletto fait du héros de Cervantès un romancier raté frappé de bovarysme.
Commande de l’Opéra de Monte-Carlo à Massenet, Don Quichotte condense, dans le livret en cinq actes de Henri Caïn, le roman de Cervantès autour de l’illusoire quête amoureuse de Dulcinée. Damiano Michieletto assume cette réduction un peu bourgeoise et resitue les péripéties dans le salon aux tons céladon d’un littérateur en panne d’inspiration et sous antidépresseurs. Sous les lumières calibrées par Alessandro Carletti, le décor domestique – l’un des plus élégants qu’ait dessiné Paolo Fantin – où les mendiants sont des lutins sortant des bibliothèques, s’ouvre en un fascinant effet Vasarely sur la profondeur imaginaire d’un corridor incurvé où Dulcinée chevauche une rossinante de carrousel. Les figurants en noir chorégraphiés par Thomas Wilhelm tenant lieu de moulins vaporisés ensuite en une nuée d’envols témoignent d’une relative sobriété dans la traduction théâtrale du délire qui laisse un peu évasives certaines caractérisations, telle celle de Sancho Pança qu’appellerait une approche simili-naturaliste, avec une direction d’acteurs qui aurait pu être plus inspirée, en particulier pour les chœurs.
La tendresse insoupçonnée de Dulcinée
Etienne Dupuis incarne la pâte bienveillante de l’écuyer, veillant son maître dans la passion déçue pour Dulcinée, grande dame fantasmée à laquelle Gaëlle Arquez confère, avec un mezzo opulent dont les couleurs altèrent parfois la clarté de la diction, une tendresse, chaste et inattendue, pour le Chevalier à la triste figure. Mais ce qui a fait passer le Don Quichotte de Massenet à la postérité reste le rôle-titre, qui avait été écrit pour Chaliapine. Plus de vingt ans après Samuel Ramey et José van Dam à Bastille, Christian Van Horn prend la relève avec une incarnation et une déclamation robustes, qui mériterait d’être comparée à celle de Gabor Bretz en juin, lequel a fait un Wotan singulier dans le Ring de Bruxelles. Préparés par Ching-Lien Wu, les chœurs se joignent à l’Orchestre de l’Opéra de Paris, placé sous la direction de Patrick Fournillier, pour défendre une partition au lyrisme économe, mais non sans séductions.
Gilles Charlassier
A propos de l'événement
Don Quichottedu vendredi 10 mai 2024 au mardi 11 juin 2024
Opéra Bastille
Place de la Bastille 75012 Paris
à 19h30, le dimanche à 14h30. Tél. : 08 92 89 90 90. Durée : 2h25 avec 1 entracte.