L’artiste espagnole Angélica Liddell, directrice de l’Atra Bilis Teatro, revient à Avignon avec une nouvelle création et continue d’explorer, en misanthrope revendiquée, les failles de l’humain.
Votre nouveau spectacle appelle à la méfiance. Cette méfiance est-elle rendue nécessaire par l’être humain ou par la société ?
Angélica Liddell : Je traite la méfiance du point de vue de la survie. Ce qui conduit à l’isolement volontaire. Dans La Maison de la force, la solitude était une nécessité, c’était la solitude qui suit le désamour ; ici, la solitude est une recherche, elle est volontaire, elle est une tentative de s’affranchir du « bruit grossier des hommes ». La méfiance ne rend pas meilleur, et peut-être n’arrivons-nous seulement qu’à nous rendre pires chaque fois. Je pars d’un point de vue totalement personnel que je ne peux pas transférer à la société. Je ne souhaite pas changer la société, je suis simplement fatiguée, blessée. La méfiance m’a rendue beaucoup plus solitaire, et je déborde d’un excès de sentiments qui m’empêchent de vivre normalement dans la société. Je voudrais vivre dans une société de solitaires, les solitaires me font me sentir bien. Je déballe mes pensées sur le plateau, dans l’espoir que peut-être quelqu’un pourra les comprendre, que quelqu’un pourra s’y identifier, ou au moins comprendre que tout cela existe à l’intérieur de moi, à l’intérieur d’autres ; je veux qu’ils comprennent, qu’ils puissent comprendre de quel pauvre matériau nous sommes faits. Il se peut que je recherche la pitié. Pas le changement, plutôt la pitié. En niant la pitié et en défendant la méfiance, au fond, je dis : « Baise ! Il n’y a rien comme l’amour. » Mais ça, c’est déjà passé, quand je vois toutes ces gamines au début de la pièce, les acrobates, si jeunes, je pense que je suis en dehors de la vie, je pense que je ne veux pas souiller l’innocence avec mes immondices, je pense que eux, ils sont beaux et jeunes, et que cette innocence ne se récupérera plus jamais. Alors, toute l’innocence s’est muée en méfiance. Et cette mue se fait par à-coups. Non, je ne veux pas changer la société, je suis antisociale, je veux m’isoler, je veux m’affranchir de toute communauté ; je manque du sentiment d’appartenance, je ne suis pas bonne pour être une petite brique de la nouvelle construction du monde, je hais le monde, peut-être parce que j’aime la vie, parce que je voudrais aimer la vie, mais la vie est une duperie.
« Je hais le monde, peut-être parce que j’aime la vie. »
« Un projet d’alphabétisation », telle est la deuxième partie du titre de votre spectacle. Pourquoi ?
A. L. : Deux éléments se sont rencontrés : je voulais mettre le feu au monde et, en même temps, j’apprenais le français en répétant l’alphabet comme une gosse. C’est une alphabétisation basée sur la méfiance absolue. Ce n’est pas une démarche pour récupérer la confiance, mais bien pour ne plus jamais recommencer à faire confiance à quiconque. Quand quelqu’un massacre ta confiance, la confiance devient maudite à jamais. Et il faut avoir beaucoup eu confiance pour en arriver à maudire la confiance ! Et il faut avoir beaucoup aimé pour maudire l’amour. Je montre un fonds absolument noir : nous voulons aimer, mais nous mourrons ; nous mourrons, et nous ne savons pas le faire ; nous avons oublié comment on baise, comment on se caresse, comment on s’aime ; nous l’avons oublié, je l’ai oublié.
Comment ce nouveau spectacle s’inscrit-il dans l’ensemble de votre œuvre ?
A. L. : Chaque spectacle est une conséquence du précédent, il y a une continuité, parce que les obsessions ne me lâchent pas. Mais il est vrai qu’après Les actes de résistance contre la mort, j’ai commencé la recherche d’un nouveau langage, qui me permette d’exprimer un travail qui commence à dépendre de mes expériences personnelles et de mes sentiments. Maintenant, je travaille comme si je fermais la porte de ma chambre, avec ce que personne ne peut voir, avec les mauvaises nuits, avec le pire de moi, avec tout ce qui nous arrive quand nous sommes seuls, sans personne qui nous juge, sans contrat social à respecter. Je n’enfile pas les gants de boxe quand je vais faire des courses au supermarché. Je les enfile quand je suis dans la salle de répétition. C’est mon lieu pour combattre. Pour comprendre pourquoi je déjeune le matin, pourquoi je continue à vivre en dépit de tout.
Propos (traduits de l’espagnol) recueillis par Catherine Robert
Festival d’Avignon. « Maldito sea el hombre qui confia en el hombre » : un projet d’alphabétisation (« Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme » : un projet d’alphabétisation), spectacle en espagnol surtitre en français ; texte et mise en scène d’Angélica Liddell. Les 8, 9, 10, 12 et 13 juillet 2011 à 17h. Salle de Montfavet. Tél : 04 90 14 14.