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Théâtre - Entretien

Dans les coulisses du pouvoir

Dans les coulisses du pouvoir - Critique sortie Théâtre Paris Comédie-Française
Stéphane Braunschweig Crédit photo : Carole Bellaïche

Britannicus / Comédie-Française / De Racine / Mise en scène Stéphane Braunschweig

Publié le 26 avril 2016 - N° 243

Pièce d’orfèvrerie racinienne, Britannicus (1669) confronte raison d’Etat et lois du cœur dans la Rome impériale : « mort et résurrection du corps du roi dans le cœur du monarque » selon l’habile formule du philosophe Michel Foucault. Stéphane Braunschweig, nouvellement nommé à la direction de l’Odéon, fait une escapade à la Comédie-Française pour mettre en scène cette tragédie du pouvoir.

« Néron est l’homme de l’alternative ; deux voies s’ouvrent devant lui : se faire aimer ou se faire craindre, le Bien ou le Mal. » écrivait Barthes dans son essai Sur Racine. Tel est l’enjeu politique de cette tragédie historique ?

Stéphane Braunschweig : Racine nous emmène dans les coulisses du pouvoir. Installé sur le trône de l’Empire romain grâce aux manigances de sa mère Agrippine, Néron menait jusqu’alors un règne exemplaire qui éludait son manque de légitimité. La tragédie débute par l’enlèvement de Junie, descendante d’Auguste, qui pourrait représenter un danger puisqu’elle va s’unir à Britannicus, fils légitime de Claude. Cet acte politique représente également un geste de défiance à l’égard de sa mère, qui avait pris Junie sous sa protection. Les sentiments s’en mêlent lorsque Néron, voyant la jeune fille, en tombe amoureux. « Las de se faire aimer, il veut se faire craindre » constate Agrippine. C’est l’histoire d’un monstre naissant : comment Néron bascule-t-il de la vertu à la tyrannie ? Il finit par « céder à sa pente ». A travers une pièce construite sur une intrigue truffée de rebondissements, Racine montre l’étroite intrication des enjeux politiques et des affects dans les décisions des gouvernants, ce qui résonne toujours avec puissance à notre époque.

Quelle est votre lecture de la relation entre Agrippine et Néron, qui souvent est appréhendée par le prisme psychanalytique de la relation œdipienne ?

S. B. : Racine dévoile une humanité contradictoire. Ses personnages sont ambigus, fragiles, craignent de ne pas être à la hauteur de ce que les autres attendent d’eux ou de l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes. Tel est le cas de Néron. Agrippine n’a sans doute jamais aimé ce fils qu’elle considère faible, manipulable voire méprisable. Il n’a été que l’instrument de son propre pouvoir. Néron, face à ce déni, a retourné son désir de tendresse maternelle en haine. Il s’est construit sur une faille identitaire, qui offre prise à l’influence de ses conseillers, le vertueux Burrhus puis le pervers Narcisse. Agrippine n’est pas une mère possessive blessée de voir son fils s’affranchir de sa tutelle mais une impératrice furieuse de se voir mise à l’écart du pouvoir. Leur relation est fondée sur le désamour. Dominique Blanc, qui fait son entrée au Français, et Laurent Stocker donnent à ces rôles un relief inhabituel. De même que Stéphane Varupenne apporte de la densité à Britannicus, souvent effacé dans les mises en scène conventionnelles.

La scénographie porte beaucoup de sens dans votre mise en scène. Comment l’avez-vous imaginée ?

S. B. : Elle évoque le lieu du pouvoir, là où se décide le destin du monde, à l’abri des regards et des oreilles du peuple : vaste table ovale, moquette épaisse, portes closes… Le sujet même de Britannicus porte sur l’envers du décorum, c’est-à-dire tout ce qu’on ne voit pas, qu’on imagine. La scénographie crée un continuum avec la salle, comme si les spectateurs étaient nichés dans un coin pour observer. Elle superpose espaces réel et fantasmatique, ce qui la rend à la fois concrète et abstraite pour faire écho au mélange des données politiques et psychologiques qui s’opère dans l’exercice du pouvoir, mais aussi à l’angoisse qui étreint tous les personnages. Tout le monde a peur de tout le monde…

La parfaite mécanique du vers racinien s’emballe aisément. Comment guidez-vous les acteurs du Français ?

S. B. : Le formalisme de l’alexandrin corsète les personnages. La concision du sens et la densité de l’écriture contrastent avec la violence des passions qui agitent les êtres. L’enjeu est de faire sentir la tension entre ce bouillonnement intérieur et sa contention dans la langue. Pour cela, il ne faut pas se laisser embarquer par la musicalité ou l’exaltation de la beauté du vers mais trouver une forme de naturel, rester le plus concret possible.

Entretien réalisé par Gwénola David

 

A propos de l'événement

Dans les coulisses du pouvoir
du samedi 7 mai 2016 au samedi 23 juillet 2016
Comédie-Française
2 Rue de Richelieu, 75001 Paris-1ER-Arrondissement, France

en alternance. Tél. : 01 44 58 15 15.

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