Un jardin de silence spectacle conçu par L. (Raphaële Lannadère), mis en scène de Thomas Jolly
L. (Raphaële Lannadère), Thomas Jolly et Babx [...]
Dans le sillage de Chute d’une nation, Yann Reuzeau explore de nouveau la fragilité des démocraties. En plantant sa nouvelle création dans le quotidien d’une salle de rédaction alors qu’un président d’extrême-droite vient de se faire élire, il pose des questions terriblement troublantes.
Comment transformer une pièce de cinquante minutes environ – le texte du Frigo de Copi – en un spectacle de quatre heures ? Un monologue éclaté entre plusieurs personnages en une partition pour huit comédiens ? Les éléments de présentation mis à disposition du spectateur de Dans le frigo ne solutionnent pas par avance ces énigmes, auxquelles nous choisirons donc de ne pas répondre ici. Tout en essayant, dans le même temps, de donner à sentir ce que propose ce surprenant spectacle. Disons donc que Copi, le romancier, dessinateur et dramaturge argentin, collaborateur de Libération, d’Hara-Kiri, de Charlie Hebdo, activiste gay mort en 1987 du SIDA, en constitue la façade, la porte d’entrée. Lui, autant français que sud-américain, qui a depuis peu sa plaque à Paris, et depuis longtemps une salle à son nom à la Tempête, a écrit en 1983 une pièce fantasmatique où des monstres apparaissent à cause d’un immense réfrigérateur – cadeau de sa mère pour ses cinquante ans – qui s’est invité dans son salon. Dans la version de Clément Poirée, ce frigo s’avérera aussi profond que l’étonnant plateau de la salle 1 de la Tempête, salle sans nom elle, sur lequel le metteur en scène a invité quelques-uns de ses fidèles acteurs qu’on avait déjà pu voir dans ses précédentes mises en scène de Shakespeare.
Les forces souterraines et théâtrales du fantasme
Un peu comme un Macbeth qui ne peut échapper aux fantômes de ceux qu’il a tués, mais en beaucoup moins tragique, l’appareil ménager fait surgir sur scène une mère, un chien, un rat, des interlocuteurs fantasmagoriques du personnage qui vont révéler quelques parts sombres de sa psyché. Car c’est là une des vertus du théâtre à laquelle Poirée et ses comédien.nes rendent hommage ici, que sa capacité extraordinaire de donner corps à l’imaginaire. Un imaginaire dans lequel on trouve beaucoup de désir, de peur (de la mort), d’envie, de jalousie, bref, un marais de sentiments humains, trop humains, que la scène sait si bien sublimer. Pas d’hommes, pas de femmes, dans cette exploration des monstres intérieurs. Mais des personnages transsexuels, des couples hybrides qui partagent à parts égales les forces souterraines et théâtrales du fantasme. Support d’une théâtralité baroque transgressive, Dans le frigo traverse au passage les frontières entre le réel et le fantastique, entre les genres sexuels et littéraires, entre le vrai et le faux, le senti et le joué, entre la sincérité et la comédie. Et telle les bonnes de Genet qui imitent cette maîtresse qu’elles aiment autant qu’elles la haïssent, la troupe menée par Poirée joue autant qu’elle jouit de jouer, proposant ainsi une soirée audacieuse, imparfaite certes, longue parfois mais ponctuée de très belles prestations, toujours gorgée du plaisir de faire vivre scènes et personnages et de faire vibrer les pouvoirs du théâtre.
Eric Demey
du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h30. Tel : 01 43 28 36 36. Durée : 4h environ, entracte compris.
L. (Raphaële Lannadère), Thomas Jolly et Babx [...]