La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Clément Poirée / La Nuit des Rois

Clément Poirée /  La Nuit des Rois - Critique sortie Théâtre
Légende : Clément Poirée

Publié le 10 novembre 2011 - N° 192

Escroquerie des apparences et mélancolie

Assistant fidèle de Philippe Adrien, Clément Poirée a choisi une comédie de Shakespeare pour sa quatrième mise en scène : Beaucoup de bruit pour rien, où sous l’apparente légèreté du propos se dissimule une grande mélancolie.

 « La pièce parle beaucoup de la circulation du désir et de la peur que celui-ci engendre. »
 
Vous semblez vouloir entrer dans cette comédie à rebours, par le biais surprenant de la mélancolie. Qu’est-ce qui vous y conduit ?
Clément Poirée : Beaucoup de bruit pour rien est une pièce vive, drôle et spirituelle. Mais ce qui me touche en elle, c’est que s’y produisent deux grandes bascules. L’une est philosophique. Pedro se propose d’exécuter une expérience alchimique en voulant rendre amoureux l’un de l’autre les deux personnages les plus réfractaires à l’amour, et qui de surcroît se détestent. Mais pour cela, il n’a pas recours aux habituels philtres d’amour. Simplement, il aiguillonne leur désir et détruit leur orgueil à partir de petites saynètes factices. Il construit une grande escroquerie des apparences et parvient à ses fins. On quitte donc un monde des sentiments transcendants pour un univers où tout est transformable à l’échelle humaine. C’est un grand basculement vers le désenchantement du monde.

Et quelle est la seconde bascule ?
C.P : Elle rejoint la première, mais c’est la deuxième intrigue qui la conduit. En parallèle, Hero et Claudio sont des amoureux de légende, lisses et héroïques. Mais on découvrira qu’en fin de compte, il s’agit d’un couple pragmatique qui ne s’aime pas. Ici encore, les apparences sont trompeuses, et le doute face à ce que l’on voit, ce que l’on entend parcourt toute la pièce et entretient la mélancolie des personnages. Finalement, le couple qui ne devait pas s’aimer choisit de se marier : « dansons et nous nous marierons après » proposent-ils. Face au scepticisme ne demeure donc que la possibilité de jouir du présent. C’est la leçon de ce rite initiatique, de ce passage à la vie d’homme et de femme.
 
Finalement, cette pièce ne fait-elle pas beaucoup de bruit pour rien ?
C.P : Le titre pourrait être pris comme une affirmation provocatrice. Dans cette pièce, on s’agite beaucoup et à travers tous les renversements de situation qui la parcourent, l’ordre initial, à la fin, demeure inchangé. On est toujours à deux doigts du drame qui ne se produit jamais. Mais le « nothing » du titre (Much Ado about Nothing) désigne aussi dans le contexte élisabéthain la supposée absence de sexe de la femme. Ce qui prend du sens, car la pièce parle beaucoup de la circulation du désir et de la peur que celui-ci engendre. Des apparences trompeuses, celles qui abusent le plus facilement les personnages sont celles qui correspondent à ce que ces derniers craignent et désirent à la fois.

Traiterez-vous scéniquement cette lecture ?
C.P : Pour souligner les moments où les personnages décident de mettre en scène leurs propres mots, il faudra que nous traitions tout particulièrement la forme. Et en écho de la mélancolie, la thématique des vanités occupera la scène avec des jeux de miroirs et des figures du temps qui passe, du périssable.

Propos recueillis par Eric Demey


Beaucoup de bruit pour rien de William Shakespeare, mise en scène de Clément Poirée. Du 11 novembre au 11 décembre au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du champ de manœuvres, Paris 12ème. Tél : 01 43 28 36 36

A propos de l'événement


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