La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Stéphane Braunschweig

Stéphane Braunschweig - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Elisabeth Carecchio Légende photo : Stéphane Braunschweig

Publié le 10 novembre 2011 - N° 192

Saisir le vacillement de l’être

L’urgence d’un départ, la peur, l’attente, la violence alentour, et puis l’exil… Trois femmes quittent leur maison, s’enfuient vers un ailleurs indéfini, tandis que d’autres choisissent de rester. Avec Je disparais, l’auteur norvégien Arne Lygre saisit dans le tracé d’une écriture minimaliste le bouleversement intime de l’être soudain happé dans la bourrasque du monde. Stéphane Braunschweig, directeur du Théâtre national de la Colline, porte à la scène la force émotionnelle de cette pièce où se révèlent la fragilité du moi et la puissance de l’imaginaire.

« La fiction se construit par l’enchevêtrement des subjectivités. Tout passe par le langage. »
 
Comment la situation politique, que l’on devine en arrière-plan, résonne-t-elle ?
Stéphane Braunschweig : Arne Lygre évoque à grands traits un contexte de crise. Guerre civile, révolution, prise de pouvoir fasciste ? On ne se sait pas. Il décrit moins la situation qu’il observe que ce qu’elle provoque chez des êtres « sans histoires » qui brusquement rentrent dans l’Histoire. Sans doute menaient-ils jusqu’alors une existence banale, dans un univers stable, à l’abri des cataclysmes, et soudain leur vie bascule : ils se trouvent déplacés, bouleversés. Leur identité vacille, elle doit se réinventer à partir d’un vide, provoqué par la situation extérieure.
 
Ces personnages s’inventent aussi des jeux de rôle : ils se projettent par exemple dans la peau de gens qui vivraient ailleurs au même instant. L’imaginaire vient-il apaiser l’angoisse ?
S. B. : Effectivement, trois niveaux de parole s’enchevêtrent. Les dialogues sont entrecoupés d’« hyper-répliques », c’est-à-dire de commentaires distanciés des personnages sur eux-mêmes, sur leurs actes, et de conversations fictives entre des gens qu’ils voient ou qu’ils imaginent. Ces jeux de rôle apportent un exutoire à leur angoisse, ils leur permettent de relativiser et de mieux supporter leur propre situation… Il y a pire qu’eux ! Le texte n’est pas dénué d’humour. Cette continuité entre mondes réel et virtuel, entre différents niveaux d’existence, peut aussi renvoyer à une expérience très contemporaine, qui se produit avec les avatars ou les jeux vidéo notamment.
 
Les personnages se parlent et pourtant semblent confrontés à une profonde solitude, comprendre ce qu’éprouve l’autre paraît impossible. Comment Arne Lygre nous renvoie-t-il à notre position de spectateur face à la douleur des autres ?
S. B. : Chacun réagit différemment à ce qu’il vit. Ces individus ont des perceptions, des interprétations et des points de vue sur les événements souvent irréductibles les uns aux autres. Leurs façons d’être au monde sont incompatibles et malgré tout ils éprouvent le besoin d’être ensemble, de partager. La pièce ne se résout pas à la solitude. L’irréductibilité des points de vue à un seul n’empêche pas la communication ni la possibilité de vivre ensemble. Ces êtres disent leur difficulté à comprendre ce que vivent les gens tout en se projetant dans leur peau. Un peu comme les comédiens d’ailleurs avec leur personnage…
 
Les événements sont en effet donnés à travers le regard de chacun des personnages…
S. B. : L’écriture d’Arne Lygre, à la fois très dense et minimaliste, allie une structure extrêmement précise, un ludisme et une grande liberté. Elle tient le suspens de bout en bout. La fiction se construit par l’enchevêtrement des subjectivités. Tout passe par le langage. Les personnages dessinent des mondes avec les mots. Un tel texte propose une expérience très puissante pour le spectateur qui est amené à mobiliser son imaginaire avec les comédiens.
 
Comment abordez-vous cette écriture au plateau ?
S. B. : Bien qu’intimiste, la pièce sera jouée sur le grand plateau du théâtre, pour donner le sentiment de liberté qu’offre l’imagination. La mise en scène s’appuie sur une scénographie abstraite, qui se métamorphose et accompagne le voyage dans l’imaginaire. Pour donner toute leur force aux questions existentielles et éthiques que soulève le texte, les comédiens travaillent sur un jeu très incarné mais pas réaliste. Ils doivent tenir l’équilibre entre le poids, la légèreté, le risque… comme des funambules.
 
Entretien réalisé par Gwénola David


Je disparais, d’Arne Lygre, mise en scène de Sthéphane Braunschweig. Du 4 novembre au 9 décembre 2011, à 20h30, sauf mardi 19h30 et dimanche 15h30. Théâtre national de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris. Tél. : 01 44 62 52 52 et www.colline.fr. Texte publié par L’Arche. A lire : Revue OutreScène, volume 13, consacré à Arne Lygre.

A propos de l'événement


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