Frida ki allo de Katerina Damvoglou
La Compagnie Fly Theater (Katerina Damvoglou [...]
En adaptant ce conte moderne (prix Goncourt 2016), la metteuse en scène Pauline Bayle, révélation théâtrale en 2018 pour son Iliade et son Odyssée d’après Homère, poursuit sa route. De l’épique à l’intime, de l’héroïque au domestique, ce sont les ressorts du tragique qui l’intéressent. Pour notre grand bonheur.
La force dramatique du roman de Leïla Slimani n’a pas échappé à Pauline Bayle qui, sous « le choc » de la lecture, déclare avoir été portée par « un désir immédiat d’adaptation au théâtre ». La tragédie de l’intime exposée par Chanson douce fait aussi directement écho à l’actuelle ambition de la metteuse en scène : « Passer d’un contexte extraordinaire, homérique, à un cadre ordinaire, celui de l’intime et du quotidien, creuset de tragédies toutes aussi grandes, donner à voir les monstres secrets qui nous habitent individuellement et collectivement ». Peut-on dès lors rêver mieux que ce texte écrit dans une langue incisive, aux personnages complexes, appuyé sur un fait divers révélateur de rapports de forces tragiques – un infanticide ? Il revient à Pauline Bayle d’avoir su, concrètement, sur le plateau, faire exister ce qui, dans l’œuvre, tient en haleine avec une acuité sans merci : les mécanismes implacables de la fabrication du monstrueux, par-delà tout manichéisme. On connaît l’aptitude de la metteuse en scène à resserrer drastiquement le nombre de protagonistes pour gagner en intensité et densité de jeu. Dans cette Chanson douce, ils sont trois pour jouer huit personnages en bousculant les codes de genre et d’âge. Et les effets attendus sont au rendez-vous.
De superbes incarnations
Il y a là une manière de sublimer les contraintes qui ne peut être relevée que par la grâce d’acteurs qui ne craignent pas une exposition maximale, et mieux, qui en raffolent. La proximité leur plaît et leur sied. Ils en jouent et investissent le devant de scène. Un procédé connu de rapprochement avec le public pour réveiller l’acteur en tout spectateur et une astuce comme réinventée par la qualité de leur interprétation. Ils sont si « naturels ». Sans doute est-ce ce qui leur a été avant tout demandé dans cette tragédie de la quotidienneté, et ils y parviennent au-delà de toute attente. Au premier chef Florence Viala dans le rôle de Louise, la « Nounou », qui parvient à rendre sensible et faire coexister dans l’incarnation de son personnage la dévouée Félicité de la nouvelle de Flaubert Un cœur simple, la fantaisie d’une Mary Poppins et la rage d’une Médée, références assumées par la metteuse en scène. Le cri tripal, sauvage d’Anna Cervinka, (Myriam, la mère) dans le tableau initial dit déjà tout des qualités de la comédienne, qui fait sienne la douleur innommable. Sébastien Pouderoux (Paul, le père) assume le paradoxe d’une présence absente, au carrefour de la conscience de ce qui se joue et de l’ignorance de ce qui se trame. Il faut voir cette Chanson douce.
Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens
Les mercredis, jeudis, vendredis, samedis, dimanches à 18h30. Relâches le samedi 20 avril et le dimanche 21 avril. Rencontre avec le public le vendredi 29 mars à l’issue de la représentation. Tél : 01 44 58 15 15
Représentation à l’Espace 1789 (coréalisateur) de Saint-Ouen le 14 mai.
La Compagnie Fly Theater (Katerina Damvoglou [...]