John de Wajdi Mouawad, mis en scène par Stanislas Nordey
Sous la direction de Stanislas Nordey, Damien [...]
Je m’en vais mais l’État demeure, qui revisite l’actualité politique et sociale des dernières années au moyen d’une forme théâtrale nouvelle et aboutie, pose aussi pas mal de questions.
Voilà un drôle d’objet, encore jamais vu au théâtre. Entre commentaire satirique de l’actualité, journalisme d’investigation, analyse politique et mise en spectacle de soi, Je m’en vais mais l’Etat demeure mélange les genres et déroute tout en exerçant une véritable séduction. Reprenons l’histoire au début. 2015 : Hugues Duchêne est fraîchement sorti de l’École du Nord, entre à l’Académie de la Comédie-Française où exercent aussi les compagnons de la troupe Royal Velours qui l’accompagnent maintenant sur scène. Il en profite durant trois ans pour écrire ce spectacle, qu’il augmente sans cesse au gré de l’évolution de l’actualité. Visible par tranches chronologiques ou en version intégrale (tout à fait recommandée), Je m’en vais mais l’État demeure a eu son succès public et critique l’année passée dans le off d’Avignon. On ne peut que le comprendre au vu du caractère novateur et abouti de la forme qu’il propose. Sur scène, avec peu d’accessoires, un écran, quelques instruments de musique, les six comédiens rejouent la vie autant réelle qu’inventée d’Hugues Duchêne, et la marche du monde qu’il traverse, tente d’analyser, sur laquelle il tente d’agir. A Calais, aux meetings de Macron, dans les couloirs des tribunaux, dans les cortèges de manifestants ou en villégiature avec Hollande, Duchêne est à la fois dedans et dehors, au bord du pouvoir, des pouvoirs qu’il dézingue à la mesure de ce qu’ils semblent le fasciner.
Une forme en phase avec son époque
La démarche séduit, dérange et questionne. Entre potins de théâtre et analyse sociologique du vote populaire, arrivée d’un enfant dans la famille et infiltration d’un cercle de militants F.N., tout est traité à l’avenant, au même niveau, dans un registre à la fois documentaire et moqueur, jamais acide, souvent teinté d’autodérision. Résultat : le spectacle est drôle, rythmé, les angles d’attaque sont variés et les comédiens – mention spéciale à Laurent Robert – sont au diapason. Le mélange de sérieux et d’ironie déstabilise. La superposition des sphères privées et publique pareillement. Mais au fond, c’est peut-être cet inconfort qui est la plus grande réussite de ce spectacle. Car Je m’en vais mais l’État demeure propose une forme en phase avec son époque et transpose au théâtre quelque chose de l’esprit contemporain. Dans les difficultés à distinguer le vrai du faux, l’avéré de l’inventé, dans sa propension au zapping, dans la mise en avant du personnage de Duchêne qui se met en scène dans l’actualité, il porte à la fois l’individualisme narcissique de notre époque, faite de flots d’infos continues et de fake news, ainsi que le désir légitime qu’a chacun d’y prendre pied. A la fois historien, militant, journaliste, citoyen, acteur et rien de tout cela seulement, Duchêne ouvre le théâtre à une action et à des formes nouvelles. L’intelligence scénique, l’audace et la somme de travail font le reste, laissant circuler sur le plateau de ce spectacle un air de renouveau, les tourbillons de notre époque, et un réel pouvoir de questionner.
Eric Demey
à 18h30, le samedi à 20h, dimanche à 15h. Tel : 01 40 03 44 30. Durée du spectacle : environ 1h /Intégrale : 3h30 le samedi et le dimanche.
Sous la direction de Stanislas Nordey, Damien [...]