Sens dessus dessous, une partition aux infinies nuances d’André Dussollier
Quelque vingt ans après Monstres sacrés [...]
Colonne vertébrale autour de laquelle s’articule l’édition Hiver 2023 du Festival Bruit, la création de Jeanne Candel avec sa compagnie la vie brève, Baùbo, de l’art de n’être pas mort, mêle joyeusement fiction et musique dans une exploration parfois loufoque de l’après-passion, le retour à la vie après la rupture amoureuse.
Sur un plateau nu, deux comédiens prennent une chaise et s’asseyent face au public : Pauline Huruguen décrit, en un monologue mi-intime mi-philosophique, la flamme de la passion amoureuse, dans une langue imaginaire riche de sonorités chuintées. L’horlogerie de la pseudo-confession évoquant quelque cadrage télévisuel, achoppe parfois sur la traduction, et finalement sur les sentiments et les souvenirs en boucle, dans des micro-dérèglements cocasses. Derrière le rideau de toile noire, on retrouve le personnage étendu sur un lit, aux côtés d’une femme en mantille noire, impassible dans son grignotage de pistache. Jeanne Candel est la meneuse des pleureuses pour quelque mise en scène où l’amante délaissée veut mettre un terme à ses souffrances de cœur en même temps qu’à sa vie avec le harpon qu’on vient de lui livrer. Mais les décalages, dans l’impossible mise en place du service funèbre comme dans l’effectif musical de la transcription contemporaine d’une Passion de Schütz par Pierre-Antoine Badaroux, au saxophone aussi incongru dans ce répertoire que son travestissement, font dévier le tragique vers une impuissance tendre, drôle et rassurante. Baùbo, de l’art de n’être pas mort, met en scène la libération, par l’imprévisibilité du rire, de la catatonie de la passion quand l’être aimé a disparu.
Désamorcer la gravité
Faite d’ellipses, de répétitions et de glissements saugrenus – la séquence de l’entretien radiophonique sur Spinoza où Pauline Huruguen se jette sur les seins de son invitée philosophe, comme dévorant sa poitrine, est un exemple irrésistible de déplacement onirique –, la narration hétéroclite et foisonnante tisse musique et théâtre dans la grammaire du rêve qui dissout le poids du drame. L’exhibitionnisme de la toilette intime quasi mortuaire que les pleureuses font de l’amoureuse dépressive au début revient ensuite, avec une facticité comique, dans l’imitation collective du geste de Baùbo – la prêtresse qui souleva sa jupe devant la déesse Déméter – dévoilant une photo de L’Origine du Monde de Courbet. Jalonné de tableaux surréalistes – tel le consort musical agrafé sur le mur blanc – et de performances ratées – impayable numéro de Jeanne Candel avec la pelle, la poêle et l’oeuf, les bras chargés de livres et l’accent méridional –, ce théâtre musical décalé, fait de notes et de situations tressées sans être confondues dans un seul langage, progresse par esquisses et avortements discursifs pour désamorcer toute gravité, vers une rédemption chorale finale, portée par la décantation contemporaine de la Passion baroque.
Gilles Charlassier
à 20h30, le dimanche à 17 heures, relâche le lundi. Tél. : 01 43 74 72 74.
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