« Au-delà de la pénétration », un seul en scène déconstruit signé Yves Heck, d’après le manifeste de Martin Page
Ode au lubrifiant et déconstruction masculine [...]
Simon Pitaqaj signe un spectacle d’une sidérante intensité, d’une terrifiante éternité et d’une amère actualité sur l’horreur de la guerre, les plaies qu’elle laisse à vif et la folie des hommes. Magnifique !
« Depuis six mille ans la guerre plaît aux peuples querelleurs, et Dieu perd son temps à faire les étoiles et les fleurs. » On le savait avant que le vieil Hugo n’enrage ; on le retrouve dans toutes les fables que racontent les hommes ; l’actualité nous le répète jusqu’à l’écœurement. Partout le sang est facile à verser, les vieillards à sacrifier, les enfants à traumatiser et la terre à brûler. Partout et toujours, le glaive fait tomber les têtes et perdre la raison. Simon Pitaqaj s’inspire cette fois-ci d’une légende albanaise pour dire comment les massacres peuvent résulter de la méchanceté perverse d’un esprit cynique, pariant sur l’appât du gain et la bêtise épaisse de la foule pour répandre la mort. On blêmit d’entendre aujourd’hui cette histoire ; il est peu dire que ce spectacle résonne d’une manière infiniment cruelle aux oreilles des spectateurs actuels. Pourtant – et comme toujours – Simon Pitaqaj ne se complaît pas dans le récit de l’horreur. Par un habile usage de la distanciation, par un art consommé de l’ellipse et de la rupture de ton, par un savant dosage entre commentaire et incarnation, il dit l’innommable sans jamais s’en délecter, sans jamais en ricaner, sans jamais l’excuser.
Émétique, hypnotique et fascinant
Tout commence par la rencontre entre un Kosovar et un Algérien à Aubervilliers. Qui sont-ils ? Mystère. Des victimes réfugiées loin de la terre qui les a vus naître et a failli les voir mourir, ou des bourreaux planqués sous le voile de l’anonymat ? Pas de morale d’état civil chez Simon Pitaqaj, qui brode à partir des matériaux qu’il compile : légendes ancestrales, mémoire de sa propre adolescence arrachée au Kosovo, souvenirs de Brahim Ahmadouche, parti d’Algérie au moment de la décennie noire et qui l’accompagne au plateau. Dans une langue heurtée, rocailleuse, poétique pour n’être pas prosaïque, inventive pour dire ce que le lexique utilitaire de la communication aseptisée et celui de la diplomatie policée ne peuvent signifier, les deux hommes racontent ce que rien ne peut taire et que personne ne peut vraiment entendre. On est comme hypnotisé par ce parler chtonien, comme si quelque dieu menaçant éructait par les bouches de ces pythies en transe. Crainte et tremblements, catharsis, terreur et pitié : tout le théâtre est là. Il l’est d’autant plus et d’autant mieux que trois extraordinaires comédiennes (Sabrina Bus, Jeanne Guillon Verne et Lula Paris) font surgir les personnages de ces récits tuilés. Leur vérité, leur aisance dans les différents registres de jeu, leur intensité et leur force font merveille. L’ensemble compose un spectacle où l’horreur se mêle à la pudeur sous les auspices d’une intelligence dramatique et d’une force scénique peu communes.
Catherine Robert
à 19h30. Tél. : 01 43 60 72 81. Durée : 1h15. À partir de 13 ans.
Ode au lubrifiant et déconstruction masculine [...]
Aux côtés de Bérengère Warluzel, Caroline [...]