Avignon / 2024 - Entretien / Lorraine de Sagazan
Avec « Léviathan », Lorraine de Sagazan interroge le système judiciaire et ses alternatives
Gymnase du lycée Aubanel / texte de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan / conception et mise en scène de Lorraine de Sagazan
Publié le 4 juin 2024 - N° 323Continuant le cycle démarré avec La Vie invisible et Un sacre, Lorraine de Sagazan fait du théâtre un contre-espace pour interroger le fonctionnement du système judiciaire et penser ses alternatives.
Quelle est l’origine de ce projet ?
Lorraine de Sagazan : C’est un projet qui fait partie du cycle démarré avec La Vie invisible et Un sacre. Pendant le confinement, nous avons, avec Guillaume Poix, interrogé plus de 400 personnes pour leur demander comment la notion de réparation résonnait dans leurs vies. Méfiance, défiance envers l’institution judiciaire : nous avons été conduits à interroger la justesse de la justice. Nous nous sommes ensuite intéressés à la comparution immédiate, où, en quelques minutes, des délits parfois mineurs sont punis de peines extrêmement lourdes. Cette justice, qui fonctionne par évidence et habitude, peut être remise en question. On sait que la prison conduit à la récidive, qu’elle ne garantit ni la paix sociale ni la réinsertion : nous avons donc cherché à interroger les supposées vertus de ce système.
« Nous avons été conduits à interroger la justesse de la justice. »
Pourquoi Léviathan ?
L.S. : Le Léviathan est, selon ses origines antiques, un monstre. Léviathan est un titre palimpseste qui s’inscrit dans un héritage biblique, philosophique et littéraire, et contient une ambivalence : demander qui est le monstre, c’est interroger ce qui est vraiment violent. Depuis Michel Foucault, le système judiciaire a connu assez peu de critiques. Nous avons travaillé à partir des textes abolitionnistes, qui nous ont permis d’envisager les alternatives aux formes actuelles de justice. Nous avons organisé tous ces matériaux comme s’ils étaient sur les deux plateaux d’une balance : d’un côté la violence, notamment celle de la comparution immédiate, de l’autre l’abolitionnisme qui destitue l’ordre établi et idéalisé comme vertueux. La scène est installée sous un grand chapiteau, comme si on reconstituait un tribunal de fortune pour une justice buissonnière. Huit interprètes, fidèles de la compagnie, font cohabiter les propos irréconciliables de la justice telle qu’elle se pratique et telle qu’on pourrait l’imaginer : on travaille sur cette tension.
Comment cette tension est-elle mise en scène ?
L.S. : L’abolitionnisme ne cherche pas à abolir le droit mais questionne ce qui est vraiment violent, afin de requalifier ce qui génère souffrance ou pas. Comment réparer un délit par le rééquilibrage ? La zémiologie, qui propose de recentrer la justice sur les torts sociaux plutôt que sur l’infraction, est peu connue encore en France. Elle repense le crime en fonction de la blessure subie, proposant une organisation beaucoup plus collective de la justice. Avec ce spectacle, nous ne cherchons ni à être idéologues et encore moins manichéens. La justice ne cherche pas la vérité. Elle cherche une vérité judiciaire, une narration. On peut tout à fait faire cohabiter plusieurs narrations : voilà ce que tente ce spectacle.
Propos recueillis par Catherine Robert
A propos de l'événement
Léviathandu lundi 15 juillet 2024 au dimanche 21 juillet 2024
Festival d’Avignon. Gymnase du lycée Aubanel
14, rue Palapharnerie, 84000 Avignon
à 18h ; relâche le 17. Tél. : 04 90 14 14 14. Durée : 2h30.