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Danse - Gros Plan

Au delà des gestes, transmettre l’esprit de la danse

Au delà des gestes, transmettre l’esprit de la danse - Critique sortie Danse
Crédit photo : Anne Deniau Légende photo : Ane-Teresa de Keersmaeker à l’Opéra de Paris.

Publié le 10 mai 2011 - N° 188

Rain, chef-d’œuvre d’Anne-Teresa De Keersmaeker, entre au répertoire de l’Opéra national de Paris, qui nous a ouvert ses portes le temps d’une répétition…

One, two, three, four, five… la mesure implacable fend le temps. Les corps ploient, vacillent un instant, suspendus au seuil de l’équilibre, puis soudain rebondissent dans l’élan de leur chute, pirouettent, changent d’axe pour rejaillir dans l’inflexion d’un mouvement et puis à nouveau ralentissent et puis repartent, infiniment… Dans le studio de répétition, niché au creux de la coupole de l’Opéra Garnier, dix jeunes danseurs enchaînent les gestes d’une précision métronomique, suivant la savante géométrie des lignes et des points, bleus, verts, rouges ou blancs, dessinés au scotch sur le sol. A côté, dans un autre studio, ce sont dix danseuses qui s’exercent. Guidés par quatre danseurs de Rosas, les deux groupes préparent, en six semaines intenses, l’entrée au répertoire de Rain, créé en 2001 par Anne-Teresa De Keersmaeker. « La proposition est venue de Brigitte Lefèvre, directrice de la Danse de l’Opéra, explique la chorégraphe belge. Rain marque un jalon important dans le parcours de notre compagnie. La pièce relie des trajectoires individuelles à l’évolution d’un groupe. Elle repose sur une géométrie spatiale et une construction du mouvement très élaborées, synthétisant les recherches que j’avais menées dans les précédentes chorégraphies. C’est un défi aujourd’hui que de la transmettre à une autre troupe. »
 
Apprentissage pas à pas
 
Fluide, vive, insaisissable, la danse coule et s’ébroue dans les boucles de Music for 18 Musicians de Steve Reich. « Sur le plan rythmique, deux sortes de temporalités y interviennent simultanément : celle d’une pulsation régulière des pianos et instruments à mailloche, qui se maintient tout le long du morceau, et celle de la respiration humaine chez les bois et les voix. » notait le compositeur en 1976. Entre ces deux lignes, le mouvement court en une vague infinie, qui happe les corps dans ses méandres, ses remous, ses tourbillons, ses incessantes transformations et, soudaines accélérations. Une vague inextinguible qui inlassablement varie, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. « La chorégraphie est basée sur deux phrases dansées, l’une donnée par Anne-Teresa pour les femmes, l’autre que j’ai écrite pour les hommes, explique Jakub Truszkowski, danseur de Rosas. La première phase du travail a consisté à transmettre ce vocabulaire jusqu’à ce qu’il soit totalement maîtrisé, pour ensuite passer à la grammaire. » Chaque danseur va ensuite décliner ces phrases matricielles par répétitions, variations, superpositions et jeu de miroir dans le temps et l’espace, créant la différence au cœur du même. « Nous suivons exactement la partition chorégraphique de Rain, extrêmement précise, tout en cherchant comment ces interprètes-là peuvent s’y relier personnellement. »
 
Une infinie variation
 
L’apprentissage se fait pas à pas et entraîne les danseurs de l’Opéra vers des zones jusqu’alors inconnues d’eux. « Même si nous sommes maintenant habitués à danser des pièces contemporaines, le vocabulaire d’Anne-Teresa De Keersmaeker est très singulier. Très technique, il demande d’associer le relâchement et la tenue du mouvement, parfois presque acrobatique. Il nous oblige à déconstruire notre approche forgée par la formation classique, qui exige un contrôle parfait de tout le corps. », raconte Vincent Chaillet, Premier danseur. « Le rapport à la gravité est aussi très différent : alors qu’on cherche à s’en libérer dans le classique, on essaie ici de l’utiliser de façon dynamique. ». Physiquement très intense, la chorégraphie peu à peu trace le dessin d’ensemble par le jeu des courses individuelles, qui se conjuguent selon des combinaisons d’une telle complexité que la distribution du ballet est intégralement doublée pour parer à l’éventuel empêchement d’un danseur. « Chacun a une identité propre mais est relié aux autres, se trouve connecté à une ou plusieurs personnes à un moment. ». Telle composition, faites d’incessants jaillissements, nécessite d’accorder les différents tempéraments à l’énergie d’ensemble. « Au-delà d’une technique et d’une chorégraphie, il y a une atmosphère, une énergie, une forme de pensée de vie, souligne Laurent Hilaire, ex-danseur étoile et maître de ballet. Ce ballet est un peu le reflet d’une société. ». La répétition touche maintenant à sa fin. Les deux groupes, filles et garçons, se rejoignent. Ils esquissent une vaste circonvolution. L’un d’eux s’en échappe, d’autres s’éparpillent en constellations de solos, duos et trios, suivant des droites, spirales et diagonales. Tous uniques et ensemble.
 
Gwénola David


 

Rain, d’Anne-Teresa De Keersmaeker. En alternance du 25 mai au 7 juin 2011, à 19h30, matinées à 14h30. Opéra national de Paris, Palais Garnier, Place de l’Opéra, 75009 Paris. Rés. : 08 92 89 90 90 et www.operadeparis.fr.

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