La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Aria da capo, un spectacle de Séverine Chavrier

Aria da capo, un spectacle de Séverine Chavrier - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre National de Strasbourg
© Alexandre Ah-Kye

Théâtre National de Strasbourg / conception et mise en scène Séverine Chavrier

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Dans Aria da capo, Séverine Chavrier met en scène quatre adolescents apprentis musiciens. Trois garçons et une fille qui racontent cet âge à part avec leurs mots, leurs musiques et leurs vidéos.

En 2015, vous avez entamé avec Après coups et Projet Un-Femme un travail avec des femmes issues d’horizons artistiques différents, qui témoignent sur scène de leurs vécus. Cette démarche, dans laquelle s’inscrit Aria da capo, est-elle pour vous proche ou au contraire très éloignée de vos adaptations et mises en scène de textes existants ?

Séverine Chavrier : Que ce soit dans Après coups, Projet Un-Femme et Aria da capo ou dans mes adaptations, je cherche à atteindre au plateau un état de grâce avec les interprètes. J’aspire à une forme de puissance, qu’il me semble plus facile d’atteindre avec des circassiennes, des danseuses ou encore de jeunes musiciens qu’avec des acteurs. Que je parte ou non d’un texte existant, j’aime à donner à voir et à entendre les fragments, les éclats de la langue. Les adolescents ont une manière bien à eux de parler, que je trouve passionnante.

Cette pièce est-elle née du désir de traiter de l’adolescence, ou autrement ?

S.C. : Comme toutes mes créations, Aria da capo est née d’une rencontre. Pendant mon travail sur Nous sommes repus mais pas repentis, mise en scène de Déjeuner chez Wittgenstein de Thomas Bernhard, nous invitions dans chaque ville trois musiciens à nous rejoindre à la fin de la représentation. À Orléans, j’ai fait la connaissance du jeune violoniste Areski Moreira, dont l’imaginaire et la maturité m’ont tout de suite intéressée. J’ai commencé à travailler avec lui, et il m’a très vite présenté son ami Guilain, bassoniste. Puis une amie commune, Adèle, pianiste. Le trio central était né. Suite à une audition, je lui ai adjoint Victor, jeune tromboniste. Le traitement de l’adolescence dans Aria da capo part vraiment de ces quatre personnes.

En quoi leur rapport à l’art est-il particulier, comparé à celui d’un adulte ?

S.C. : Se consacrer plusieurs heures par jour à la musique, avec l’idée d’en faire un métier, c’est pour une personne jeune une chose d’autant plus exigeante qu’elle cohabite avec la naissance du désir, avec les premiers émois et des doutes immenses. En travaillant avec eux, j’ai pu mesurer à quel point l’adolescence est un monde mystérieux, complètement à part. Dans Aria da capo, Areski, Guilain, Adèle et Victor nous livrent des témoignages précieux sur ce moment de la vie que l’on aborde souvent avec force clichés, mais dont on sait finalement assez peu de choses.

« L’adolescence est un monde mystérieux, complètement à part. »

 Vous a-t-il fallu mettre au point un dispositif spécifique pour récolter les paroles de votre quatuor ?

S.C. : Grâce à un travail d’improvisation, nous avons créé un univers commun au sein duquel chacun sait exactement ce qu’il fait et pourquoi. Cela aussi bien en matière de texte, que de musique et de vidéo car, considérant les quatre interprètes d’Aria da capo comme des artistes à part entière, je leur ai donné la responsabilité de toutes ces partitions. Plus que pour recueillir leurs paroles, leur musique et leurs images – ils vont se filmer en direct avec leurs smartphones pendant toute la durée du spectacle –, c’est pour leur représentation qu’il a fallu inventer un dispositif. J’ai opté pour deux boîtes qui peuvent symboliser l’espace de la chambre. Ils y sont protégés et peuvent y être eux-mêmes.

Qualifieriez-vous Aria da capo de « documentaire » ?

S.C. : La pièce est certes très proche du quotidien et des pensées de ses quatre interprètes, mais il y a aussi une part de fiction, qu’ils ont développée eux-mêmes dans un jeu avec moi. Le trio que forment Areski, Guilain et Adèle, observé par Victor qui est plus silencieux, est traversé dans le spectacle par un mélange d’amitié et de rivalité, et par des rapports complexes à leurs pères qui évoquent pour moi à la fois Marivaux et Thomas Bernhard. Lequel est d’ailleurs présent à quelques reprises à travers certains passages de ses textes. Toute la dramaturgie du spectacle repose ainsi sur un jeu subtil entre le vrai et le faux.

Vous avez vous-même une formation musicale. Quels changements d’approche de la discipline observez-vous entre votre génération et celle des adolescents d’aujourd’hui ?

S.C. : Je retrouve chez eux beaucoup de choses que j’ai connues à leur âge. Une différence toutefois : l’évolution du milieu musical vers le monde du spectacle. La place du physique, du visuel a pris une importance majeure, dont les jeunes artistes d’Aria da capo ont une conscience aiguë. Ce dont ils témoignent à travers leurs vidéos, qui déréalisent leurs propos, et les universalisent.

Propos recueillis par Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Aria da capo
du mercredi 30 septembre 2020 au samedi 3 octobre 2020
Théâtre National de Strasbourg
1 avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg

à 20h, et le 4 octobre à 16h. Tél. : 03 88 24 88 24. www.tns.fr.

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