Après la pluie

Dans notre société prophylactique qui ne croit plus aux vertus euphorisantes et relaxantes de la plante du bon Nicot, fumer est devenu l’apanage de quelques suicidaires stigmatisés comme pollueurs à l’haleine de fennec, dérogeant aux normes bienséantes de l’hygiène. Sur le toit du building qui sert de cadre à la comédie délirante imaginée par Sergi Belbel, les volutes bleues s’élèvent en cachette, et l’imagination s’en donne à cœur joie pour planquer l’objet du délit dans les décolletés, les porte-jarretelles et les poches secrètes. Sur la terrasse d’une tour, se retrouvent les différents employés d’une multinationale qui viennent assouvir leur péché tabagique en douce. Fantasmes, tranches de vie, aveux, scènes de drague, conciliabules et complots s’organisent le temps d’une sèche, dans une ambiance électrisée par l’attente de la pluie, qui n’est pas tombée depuis deux ans.

Un radeau optimiste et drôle

« Après la pluie m’est apparue comme bien autre chose qu’une grande comédie sociale », dit Marion Bierry, qui situe cette pièce « entre Feydeau et Beckett ». Ecrite au début des années 90, elle apparaît comme une « œuvre visionnaire » : perturbation du climat, choc des avions dans les gratte-ciels, explosions dans la ville… « Belbel ne dresse pas ici un inventaire des plaies de ce monde, il est de ceux qui s’insurgent, de ceux qui croient encore que l’imagination, le théâtre et la poésie, peuvent exercer leur sortilège. » La pièce est une invitation à sortir de la norme, et le rire et la jouissance transgressive dont ce spectacle est l’occasion, montrent bien que, contrairement à ce que la vertu veut faire admettre au vice, la tristesse est ce qui nuit le plus gravement à la santé. Marion Bierry se fait capitaine de ce « radeau égaré » qui « invente un imaginaire bien ibérique, de moulins et de tempêtes pour ne pas sombrer dans la désespérance contemporaine ».

Catherine Robert