La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Anne Théron

Anne Théron - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : DR Légende photo : Anne Théron

Publié le 10 mars 2012 - N° 196

Le combat d’une femme pour sa liberté d’être

En 1796, La Religieuse de Diderot provoquait le scandale : la lutte de Suzanne Simonin, fruit des amours coupables de sa mère, recluse dans un couvent pour réparer la faute de cette naissance indigne, révélait l’injustice d’un destin autant que l’aliénation d’une institution. La metteuse en scène Anne Théron ravive la puissance dramatique de cette bouleversante parole, magistralement interprétée par Marie-Laure Crochant.

« Suzanne Simonin est cloîtrée dans une identité, celle de bâtarde. »

Quel est l’écho aujourd’hui du destin de cette jeune femme du 18e siècle ?

Anne Théron : L’enfermement dans la cellule monacale renvoie à de multiples formes de claustration et d’aliénation contemporaine. Suzanne Simonin est cloîtrée dans une identité, celle de bâtarde, et dans la fonction de religieuse pour expier le péché de sa mère et permettre ainsi son salut. Cette mère nie son existence en tant qu’être autonome et libre. N’étant rien, la jeune femme devient tout et développe une logique schizophrénique : prisonnière de sa condition et dépossédée d’identité propre, elle se dédouble et réinvente le monde en l’incarnant à elle seule.

Aujourd’hui la définition de l’identité se superpose moins à la fonction sociale qu’à cette époque. Pour autant, elle n’en est pas moins façonnée par de multiples marqueurs sociaux.

A. T. : L’enfermement identitaire n’a pas desserré son étau mais prend d’autres formes, plus insidieuses et plus complexes, dans notre système où dominent l’argent et la marchandise. L’appartenance à une famille, à une caste ou classe sociale, à un corps de métier ont longtemps constitué le fondement identitaire de l’individu. Ces déterminants étaient sans doute plus simples à énoncer et à dénoncer. Aujourd’hui, la prise de conscience des mécanismes est moins évidente.

La censure du corps se fait sentir en permanence dans le texte. Comment cette question résonne-t-elle ?

A. T. : Dans le roman publié en 1796, Diderot dénonce l’enfermement dans les couvents et ses conséquences, dont l’hystérie et autres pathologies. Cette censure m’intéresse aujourd’hui plus comme manifestation d’un interdit d’être, de vivre, de penser librement, que comme répression des pulsions érotiques. Elle révèle aussi que les corps, le rapport au plaisir et au labeur, sont modelés par les milieux sociaux.

Vous intégrez dans le texte de Diderot quatre monologues de « mères », celui de la génitrice et de trois mères supérieures. Comment vous êtes-vous glissée entre les mots de l’auteur ?

A. T. : Diderot amène la réflexion. Je m’en suis inspirée pour penser le monde dans lequel nous vivons. En me plongeant dans l’écriture pour l’adaptation, j’ai eu envie d’en fouiller les plis, de donner voix à ces quatre « mères » qui incarnent et théorisent les différentes violences exercées sur Suzanne Simonin. Sans doute peut-on déceler ici une résonance des travaux de Deleuze, de Derrida et de Foucault, qui nourrissent ma pensée.

Votre mise en scène s’appuie sur un dispositif plastique étonnant qui restitue l’expérience sensorielle de l’enfermement.

A. T. : La scénographie joue un rôle dramaturgique essentiel. Elle enserre le corps de la comédienne Marie-Laure Crochant comme une immense robe et appelle un fort engagement physique dans le jeu. J’appréhende le plateau comme un espace total, où la présence, la voix, la musique, le mouvement, la lumière et la matière sont les éléments d’une partition scénique qui doit porter toute la puissance émotionnelle de cette parole jusqu’au cœur du public.

Entretien réalisé par Gwénola David


La Religieuse, de Diderot, adaptation et mise en scène de Anne Théron. Du 06 au 24 mars 2012, à 20h30, relâche dimanche et lundi. Le Monfort Théâtre, Parc Georges Brassens, 106 rue Brancion 75015 Paris. Tél. : 01 56 08 33 46 et www.lemonfort.fr. Durée : 1h20.

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