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Théâtre - Critique

Angels in America de Tony Kushner : Arnaud Desplechin privilégie l’efficacité au scandale

Angels in America de Tony Kushner : Arnaud Desplechin privilégie l’efficacité au scandale - Critique sortie Théâtre Paris Comédie-Française Salle Richelieu
© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française Angels in America mis en scène par Arnaud Desplechin

Comédie-Française / Texte de Tony Kushner / Mise en scène d’Arnaud Desplechin

Publié le 28 mars 2023 - N° 309

En mettant en scène Angels in America, la « fantaisie gay » de Tony Kushner, dans la salle Richelieu de la Comédie-Française, Arnaud Desplechin souhaitait en montrer toute la force de subversion. En réduisant la pièce-fleuve à une version de moins de trois heures, il privilégie hélas l’efficacité au scandale.

En entretiens et par écrit, dans les textes de présentation de ses spectacles, le metteur en scène Arnaud Desplechin se présente comme étant tout autre que le réalisateur Arnaud Desplechin. Avec des comédiens de théâtre, sur une scène, il affirme agir avec beaucoup plus d’humilité que sur un plateau de tournage. Une question d’habitude : s’il a réalisé une quinzaine de longs-métrages très souvent primés, il n’a que peu d’expérience théâtrale. Angels in America, qu’il a créé en 2020 et reprend aujourd’hui dans la salle Richelieu, est sa deuxième pièce. Cinq ans auparavant, il faisait connaissance avec la Maison avec une mise en scène de Père d’August Strindberg. Il disait s’y sentir autorisé par son amour éclairé pour Bergman, qui en 1991 montait la même pièce au même endroit. Arnaud Desplechin utilise un argumentaire à peu près similaire pour expliquer son retour à la Comédie-Française. Il est vrai que de par son ambition à dresser dans sa pièce le portrait des États-Unis de la fin des années 1980, notamment à travers le Sida, Tony Kushner semble voir dans le théâtre des possibles aussi vastes que ceux du 7ème art, qu’il pratique ensuite auprès de Steven Spielberg en tant que scénariste. Séduit par l’« impureté » d’Angels in America, empruntant selon lui autant à Shakespeare, à Brecht ou encore au boulevard qu’aux séries télé et aux productions d’Hollywood, Desplechin tente d’en rendre compte au plateau. Peu convaincant, son essai donne lieu à une théâtralité souvent poussive, loin de l’esprit de subversion qu’il prétend vouloir exprimer. Loin aussi de l’humilité promise.

Des Anges en condensé

Dès la scène d’ouverture, où un rabbin (Dominique Blanc, qui joue aussi de nombreux autres personnages) enterre la grand-mère de Louis Ironson (Jérémy Lopez), le Angels in America de Despleshin se place sous le signe de l’excès. On retrouve cette exaspération du comique présent chez Kushner à plusieurs reprises dans la pièce, notamment dans les scènes de ménage entre Joe Pitt (Julien Frison), homosexuel dont le refoulement cesse avec la rencontre de Louis Ironson et son épouse (Jennifer Decker), addict au Valium. La douleur, qui terrasse par exemple Prior Walter (Clément Hervieu-Léger), compagnon de Louis Ironson atteint du Sida, fait elle aussi l’objet d’un traitement plein d’emphase, tout en cris et en larmes. Toutes ces histoires, et d’autres encore, qui s’entrecroisent dans la pièce perdent au plateau de leurs singularités pour former ensemble un tout plus divertissant que scandaleux. L’adaptation de la pièce par Arnaud Desplechin y est pour beaucoup. En la réduisant de moitié environ – son spectacle dure 3 heures avec entracte, contre 6 heures pour la version originale, montée en 1994 par Brigitte Jaques-Wajeman –, le metteur en scène souhaitait l’alléger de tout ce qui la reliait trop à son époque afin d’en révéler la force. Au lieu de cela, la réduction et le retrait de monologues centrés sur la politique de Reagan ou autres sujets contemporains de l’écriture font perdre aux protagonistes une complexité que rien dans la mise en scène ne leur permet de récupérer. Avec ses 44 changements de rideaux, ce Angels in America passe à une telle vitesse que la tragédie du Sida qui s’y raconte n’a guère le temps d’entrer en parallèle avec des drames plus présents.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Angels in America
du dimanche 19 mars 2023 au dimanche 14 mai 2023
Comédie-Française Salle Richelieu
Place Colette, 75001 Paris

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi. Tél. : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr. Durée : 3h avec entracte.

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